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Côte d’ivoire : Le droit du plus fort, un droit précaire

Aprnews -Côte d’ivoire : Le droit du plus fort, un droit précaire- Actualité - Jean Clotaire Tétiali
Dimanche, 1 novembre 2020

Côte d’ivoire : Le droit du plus fort, un droit précaire

Environ vingt ans après le début de la rébellion, la Côte d'Ivoire semble encore exangue. Si la capitale, avec ses allures de Manhattan africain, peut encore faire illusion, un voyage dans l’univers socio-politique ivoirien vous désarçonne tout de suite.

Pour l’histoire, les rencontres de Marcoussis et de Kébler avaient pour vocation, nous avait-on fait croire, de régler définitivement la question ivoirienne, mais elles ont plutôt créé plus de problèmes qu’elles n’en ont résolus. Elles ont consacré la partition du pays en deux espaces Nord et Sud, partagé les postes ministériels entre, d’une part, le front populaire de Laurent Gbagbo et, d’autre part, la formation politique d’Alassane Ouattara et plusieurs autres partis politico-militaires. Mais, en vérité, ces derniers n’étaient que les métastases d’un même corpus idéologique, le RDR. 

Au final, alors que tous, attendions de ces accords une aire nouvelle et espérions une atmosphère plus respirable, nous en sommes sortis, plutôt saisis du vertige de la vacuité. 

L’élection de 2010 a consacré l’avènement du régime Alassane et suscité, elle-aussi, l’espoir d’un nouvel élan économique, social et de la réalisation de la réconciliation nationale. Mais, encore une fois, que d’illusions ! La réconciliation des ivoiriens n’est jamais arrivée, le parti au pouvoir étant resté hostile, dix ans durant, à toute forme de négociation avec l’opposition autour de la marche générale du pays. Même le contenu de la nouvelle constitution de 2016 n’a fait l’objet d’aucune élaboration concertée.

En somme, rien n’a été entrepris pour apaiser le climat social ; on a plutôt vu des individus et autres clubs de soutien au président de la République qui se sont transformés en gouvernement parallèle pour régler des comptes.

A cela s’ajoutent les reproches de « tribalisation » d’un pouvoir qui aurait tendance à chercher à l’extérieur du pays sa légitimation, plutôt que de la tenir du peuple. Entretemps, la coalition au pouvoir, la famille du RHDP, s’est lézardée pour laisser apparaitre une rupture mortelle entre Ado et Bédié.

La Côte d’ivoire s’en trouve malade.

La classe politique devrait puiser des forces en elle-même et trouver ce dynamisme qui nous détermine à prendre une résolution ferme et puissante pour aplanir nos contradictions et mettre ainsi les nos concitoyens à l’abri des incertitudes. Non ! Aujourd’hui, les populations ivoiriennes paient plutôt le prix d’une radicalisation politique et d’une approche de gestion sociale inutilement arrogantes.

Encore une fois, nous en sommes toujours à espérer l’intervention d’une nébuleuse internationale qui pourrait sortir la Côte d’ivoire de cette nième crise.

La Cedeao, s’y est essayée, mais elle est trop faible et incohérente, sa démarche est suspecte, au point où elle a fini par exacerber les tensions entre les ivoiriens. L’implosion n’est plus loin !

La leçon à en tirer est résumée dans les propos de l’ivoirien Tidjane Thiam qui disait, il y a peu : « les crises africaines doivent être réglées par les africains eux-mêmes. » On devrait y ajouter ce que Thiam disait encore un jour à ses amis français : « vos solutions ne marchent pas parce que vous n’avez pas essayé une méthode efficace : ne plus mentir aux peuples… »

Encore jeudi dernier, sur les antennes de TV5, l’ex-président Laurent Gbagbo, rappelait sa formule « asseyons-nous et discutons ! ». Sa confiance inébranlable dans les vertus de la négociation lui avait même fait dire que quelque chose était encore possible entre Alassane et son opposition. Et pourtant, nous n’étions plus qu’à 72 heures de l’élection présidentielle de ce 31 octobre 2020.

Thiam et Gbagbo ont-ils tort d’avoir eu trop tôt raison ? En tout cas, la « transition apaisée » dont il a été question ces derniers mois n’est plus qu’une illusion. Sa seule chance réside dans le fait que Ouattara et son opposition sont aujourd’hui, comme hier, condamnés à s‘entendre à leur niveau, faute de réelle légitimation populaire. L’équation, plus qu’hier, est dorénavant beaucoup plus difficile à résoudre. Ses paramètres sont nombreux et complexes.

Assurément, la solution au problème ivoirien n’est pas à chercher dans des résultats d’une élection présidentielle qui n’a convaincu personne, sauf les esprits tordus.

Il ne faut pas la rechercher non plus du côté de l’Union Africaine, cette institution qui a mal à elle-même et qui a toujours vécu de ses contradictions internes. Elle en a d’ailleurs donné la preuve aujourd’hui encore, envoyant des observateurs à une élection que la Cour Africaine de Justice, sa propre émanation, avait jugée intenable en raison de grandes divergences entre le parti au pouvoir et l’opposition, relativement aux modalités intellectuelles et techniques de son organisation.

La juridiction supranationale avait aussi dénoncé le manque d’inclusivité de l’élection présidentielle de 2020, déclarant, en outre, que la Commission électorale, dans sa configuration actuelle, n’était pas de nature à rassurer les protagonistes de la crise ivoirienne. 

Faut-il alors regarder du côté de la France ? 

Il semble que non, car pour nombre d’ivoiriens, là où la France était appelée à adopter une position de principe face à la volonté d’Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat, elle a plutôt tergiversé avant de finir par montrer son appréciation à géométrie variable de la Souveraineté des Etats. Et pourtant, en 2010, elle n’avait pas hésité à bombarder la résidence présidentielle, livrant également Laurent Gbagbo, le président de la République au camp adverse. Sa posture incompréhensible a entaché sa crédibilité en Côte d’ivoire. Dans une raillerie pertinente, le comédien Adama Dahico se demandait si « la Côte d’ivoire de 2010 était souterraine, là où celle de 2020 est souveraine ».  

Que reste-t-il à faire ?

La formule la plus réaliste et la plus propice est vraisemblablement celle qui voudrait que les ivoiriens s’accordent eux-mêmes sur une approche de résolution des problèmes qui tienne compte de leurs rêves communs, de leurs réalités culturelles et de leurs aspirations profondes. Ils doivent nécessairement, tel que le préconisait Tidjane Thiam lors de son dernier passage sur TV5, « éviter ce qui divise ». Aucune autre approche ne peut prospérer. 

Alors dans cette conformation, Ouattara dont les bastions militaires se lézardent et dont la popularité ne peut que s’effriter au même rythme que la cohésion sociale, devra affronter une opposition très déterminée et ragaillardie par le faible taux de participation à l’élection présidentielle. La faiblesse de ce taux est, pour elle, synonyme de victoire et un véritable remontant psychologique. Bédié, Gbagbo, Thiam et Affi peuvent également capitaliser l’évidence du caractère non apaisé de d’élection présidentielle, ce que redoutait justement la communauté internationale. Un scrutin dont il sera, par ailleurs, difficile de démontrer ou de convaincre de la crédibilité.

Le RHDP devra, par ailleurs, faire face à une opposition qui a brisé le mythe de la force de Ouattara et qui sait désormais que les forces armées, fussent-elles les plus spéciales au monde, ne peuvent se permettre d’ouvrir le feu avec facilité sur des manifestants. Le risque d’un emprisonnement à la Cpi est trop grand. Ouattara devra alors jouer autrement que par la force militaire. Les négociations entre ivoiriens sont encore possibles et le temps, tel que le soutient Laurent Gbagbo, « est toujours propice à la discussion ». L’enjeu est de taille : la préservation de la vie des ivoiriens et de la Côte d’ivoire, la survie même du RDR en tant que parti politique aspirant à garder fauteuil présidentiel ou à le reconquérir, s’il le perd.  Alors, le règne de la force doit cesser.

A juste titre, Jean Jacques Rousseau écrivait, dans son Œuvre, « Du contrat social » : « le plus fort n’est jamais assez fort pour être toujours le maître, s’il ne transforme sa force en droit et l’obéissance en devoir ». Assurément, la force n’est qu’une puissance physique, aucune moralité ne peut résulter de ses effets. Et, comme le disait encore le philosophe Genévois : « Sitôt que c’est la force qui fait le droit, l’effet change avec sa cause ». Quel est donc ce droit qui cesse lorsque la force cesse ? Un droit précaire donc.

Jean Clotaire Tétiali