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Côte d'Ivoire : le cacao s'invite dans la présidentielle

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Dimanche, 4 octobre 2020

Côte d'Ivoire : le cacao s'invite dans la présidentielle

Difficile de ne pas voir dans l'augmentation du prix du kilo de cacao à un mois de la présidentielle un clin d'œil du pouvoir aux producteurs, soit 25 à 30 % de l'électorat ivoirien.

La Côte d'Ivoire, le plus grand exportateur mondial de cacao, a ouvert sa campagne cacaoyère en grande pompe et avec une bonne nouvelle pour les producteurs. Jeudi 1er octobre, le pays s'est engagé à augmenter le prix minimum garanti pour les agriculteurs de 21 % pour la saison 2020-2021. L'annonce a été faite par le président Alassane Ouattara en personne : « Nous avons décidé d'augmenter le prix de 825 à 1 000 francs CFA le kilo » (1,52 euro), a-t-il déclaré à l'ouverture des Journées nationales du cacao et du chocolat, la manifestation annuelle qui ouvre la grande saison de la récolte, sous les applaudissements des planteurs de la capitale, Yamoussoukro.

Les planteurs, une profession sacralisée depuis Houphouët-Boigny

Le cacao est stratégique en Côte d'Ivoire : il représente 10 % à 15 % du PIB, près de 40 % des recettes d'exportation et fait vivre cinq à six millions de personnes, soit un cinquième de la population, selon la Banque mondiale. Dans un pays qui compte 6,3 millions de votants, c'est un électorat qui compte. Et ce depuis les premières années de l'indépendance. En effet, les planteurs ont toujours joué le rôle de relais entre les politiques et le monde paysan, grâce à l'un d'entre eux : Félix Houphouët-Boigny, premier président du pays. Très jeune, il avait hérité des grandes plantations familiales au cœur de la région baoulé, ce qui en fit l'un des hommes les plus riches d'Afrique de l'Ouest, avant d'exercer la médecine des années durant dans la brousse. À travers lui, c'est toute une profession qui se voit accéder au sommet de l'État . Son parti, le Parti démocratique de Côte d'Ivoire (PDCI) est l'héritier du Syndicat agricole africain créé pour défendre les intérêts des producteurs locaux face à l'administration coloniale française. Depuis, l'argent du cacao est largement distribué selon des règles tacites d'équilibre politique, régional et ethnique.

Un long chemin pour un prix juste du cacao

Le prix plancher est fixé une fois par an et cette fois-ci son augmentation intervient à quelques semaines seulement de l'élection présidentielle du 31 octobre. Si beaucoup s'interrogent sur la portée politique d'une telle annonce, il faut savoir que ce prix de 1 000 FCFA par kilo pour la Côte d'Ivoire, qui produit plus de 40 % du cacao mondial, est équivalent à celui annoncé la semaine dernière par le Ghana voisin, qui en produit environ 20 %. Les deux pays travaillent ensemble depuis l'année dernière pour tenter de soutenir les prix sur le marché mondial. Ensemble, ils ont réussi à imposer le « différentiel de revenu décent » (DRD).

Cette augmentation correspond justement au « différentiel de revenu décent » (DRD), la prime de 400 dollars par tonne (soit 224 FCFA par kilo) négociée avec les multinationales du cacao et du chocolat pour améliorer les revenus des planteurs à partir de cette saison, note un expert du secteur.

« C'est nécessaire mais pas suffisant pour que les planteurs vivent décemment », explique-t-il. « C'est juste pour vivre. On aurait voulu 1 200 FCFA », a commenté auprès de l'AFP un planteur, N'Dri Kouao. « C'est un progrès, mais ce n'est pas suffisant pour vivre. Il faudrait 1 400 ou 1 500 FCFA pour s'en sortir », a abondé le président du Syndicat national agricole pour le progrès en Côte d'Ivoire, Moussa Koné. « Notre stratégie commune permet aujourd'hui de mieux défendre les intérêts de nos producteurs au niveau international », a estimé le président Ouattara.

« Si le Ghana et la Côte d'Ivoire restent ensemble, le DRD existera toujours », a déclaré Joseph Boahen Aidoo, directeur du Cocobod, l'organisme étatique qui gère la filière cacao au Ghana. Ce montant de 1 000 FCFA est un retour au prix de 2015. Il avait ensuite atteint 1 100 FCFA en 2016, un record. Les prix avaient ensuite été tirés à la baisse par l'effondrement du cours mondial.

Des voix précieuses pour les grands partis

Cette forte hausse du prix du cacao survient aussi à un mois de la présidentielle qui se tient dans un contexte politique tendu. Des violences préélectorales ont déjà fait une quinzaine de morts en août, et l'opposition a appelé la population à la « désobéissance civile ». La cérémonie de Yamoussoukro a quasiment été transformée en meeting politique pour le candidat Ouattara qui brigue un troisième mandat controversé. « Allez partout dans vos villages pour annoncer la bonne nouvelle de la candidature du président Ouattara ». « Le président a fait beaucoup pour vous, en retour vous avez envers lui un devoir de reconnaissance », a déclaré le ministre de l'Agriculture Kobenan Kouassi Adjoumani, suscitant des réactions mitigées dans l'assistance, applaudissements comme rires. « Vous pouvez compter sur moi », a lancé Alassane Ouattara aux planteurs, assurant que le prix de 1 000 FCFA correspondait à un soutien de 355 milliards FCFA (541 millions d'euros) de l'État en leur faveur.

Face à lui, Henri Konan Bédié, le chef du PDCI, également propriétaire de dizaines d'hectares de plantations autour de son fief de Daoukro, est en pays baoulé comme son mentor. La récolte de cacao 2020-2021 devrait rester au même niveau élevé que l'an dernier, avec 2,1 millions de tonnes, selon les prévisions de l'Organisation internationale du cacao, si des troubles politiques ne la perturbent pas.

Objectif : augmenter la valeur ajoutée sur le cacao

La consommation mondiale de cacao a en revanche été affectée par la crise du coronavirus, tirant les prix des marchés à la baisse. Pas de quoi infléchir la politique volontariste du premier producteur mondial, qui a lancé fin septembre la construction de deux nouvelles usines de transformation du cacao, à Abidjan, la capitale économique, et San Pedro, le grand port cacaoyer du sud-ouest du pays, avec un financement chinois. L'objectif est d'augmenter sa part de valeur ajoutée dans la filière cacaoyère pour la Côte d'Ivoire qui ne transforme actuellement qu'un quart, soit 500 000 tonnes, de sa production annuelle d'environ deux millions de tonnes de fèves de cacao, en pâte de cacao pour l'exportation et la fabrication de chocolat.

L'objectif des autorités est donc de porter cette capacité à 600 000 tonnes, puis à un million de tonnes par an à terme, selon Yves Koné, le directeur général du Conseil Café Cacao, l'organisme public ivoirien qui gère la filière et qui sera l'opérateur des deux usines, dont le capital sera ouvert aux capitaux privés ultérieurement. Deux entrepôts de stockage d'une capacité combinée de 300 000 tonnes seront également construits dans les deux ports qui exportent tout le cacao ivoirien, ainsi qu'un centre de formation aux métiers du cacao dans la capitale économique.

La construction de ces infrastructures, par une entreprise chinoise, doit durer deux ans. L'investissement total se monte à 216 milliards de francs CFA (330 millions d'euros), financé par un prêt de la Chine, signé en avril. « 40 % de la production des usines sera destinée au marché chinois », a précisé M. Koné.

Le Point