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Cote d'Ivoire : Covid-19, Conseils de survie en temps de crise

Aprnews - Vincent Toh Irie Bi - Préfet d'Abidjan - Actualité - Abidjan - Cote d'Ivoire
Dimanche, 5 avril 2020

Cote d'Ivoire : Covid-19, Conseils de survie en temps de crise

Même pendant la journée, les rues d’Abidjan sont presque vides. C’est nous-mêmes qui l’avons ordonné et pour cause.....Coronavirus.

Si cette crise perdure, le Gouvernement prendra irrémédiablement les décisions les plus difficiles et les plus inhabituelles, dans l’unique but de préserver la vie des populations. Si cela arrivait (et nous ne le souhaitons pas du tout), il faudra être solidaire des décisions administratives. 

Encore une fois, il est bon d’être transparent avec nos populations et de les préparer à des comportements appropriés, si les mesures d’aujourd’hui ne suffisaient pas.

En ces temps d’enfermement administratif, d’autarcie obligatoire, d’utile austérité et d’ostracisme volontaire, je voudrais partager avec vous mon expérience personnelle de survie lorsque je travaillais dans l’international et dans les pays en crise , notamment l’Est de la RDC (en guerre à l’époque), Tripoli (en guerre à l’époque), Puntland, Somaliland et Somalie, pour ne citer que les plus difficiles à l’époque. 

Ce texte prend 4 minutes et 45 secondes, en mode lecture lente .

En temps de crise, il est important d’intégrer certaines notions :

-VOTRE CORPS : vous avez fait des provisions? Vos réfrigérateurs, vos cases, vos greniers, vos fourneaux, vos maisons sont pleins de nourritures ? Si oui pour les plus chanceux, réduisez quand même vos fastes habitudes. Mangez et buvez ce qui est juste nécessaire et pensez aux voisins.

-VOTRE ESPRIT : ne polluez pas vos esprits avec la négativité et le pessimisme. Ne lisez pas les millions de messages WhatsApp catastrophistes annonçant la fin du monde. Contentez vous juste des informations de sources officielles d’ici et d’ailleurs. En temps de crise , il y a de nombreux névrosés qui jouissent de vous tuer par la peur , ne soyez pas des jouets dans leurs mains . Soyez inquiets mais pas défaits . Faites l’effort de penser à vos objectifs personnels et à ceux qui comptent dans vos vies.

-VOS BIENS : lorsque les Livres Saints disent « vanité de vanité », cela prend tout son sens en temps de crise. Si nous sortons malgré les interdictions et les restrictions, c’est souvent pour des raisons liés à nos corps et à nos activités. C’est triste de le dire , mais en temps de crise, il n’y a rien d’autre qui vaille que votre seule vie, les mouvements et surcharges deviennent inutiles ou suicidaires. 

Dans certaines missions difficiles des Nations-Unies, nous n’avions droit en tout et pour tout que 15 kilos de bagages. Votre vie, vos diplômes, vos souvenirs , vos biens , le tout dans 15 kilos toujours scotchés à vous parce que vous pouvez être exfiltrés à tout moment dans ces environnements hostiles.

-VOTRE CONFORT : le confort est souvent un état d’esprit ; vous adapter à des restrictions ne vous tuera pas . Au contraire, ne pas le faire expose votre vie. Je dormais toujours dans la chambre en Somalie avec un gilet par balles et un casque très lourds. Une anecdote : des affrontements armés ont éclaté dans une capitale alors que nous étions en pleine réunion. Nous avons été immédiatement entassés dans un blindé des Nations-Unies. Un Ambassadeur d’un pays africain, le dernier à être escorté au véhicule et nous voyant serrés les uns contre les autres dans le blindé a demandé aux soldats s’ils pouvaient organiser un autre tour pour lui seul. Le soldat lui a répondu gentiment qu’il reviendrait le chercher après la guerre. L’Excellence a plongé sur nous dans le blindé. Le confort est un état d’esprit....

-LA MORT : les chiffres du nombre de morts ailleurs dans le monde effraient. Aucun individu n’est à l’abri de l’infection. Mais il faut rester calme. Mourir par stupidité et en défiance des règles et des conseils serait dommage. 
Souvent au petit matin, nous trouvions des corps criblés de balles dans les rues . Mais il fallait quand même s’occuper des motifs de nos présences dans ces contrées risquées. Ça n’arrivera pas à Abidjan.

-LA FAMILLE : famille s’entend ici tout votre faisceau de relations affectives ; prenez des nouvelles les uns des autres . Parlez vous autant que vous pouvez mais veillez à ce que chaque membre de la famille ne soit pas un canal de transmission du virus . Des amis sont tous morts parce qu’entre amis ils se pensaient invulnérables . Parlez et pensez aux membres de votre famille vous donnera un bon état d’esprit. Mon ami et jeune frère Kodia a souhaité que je ne lui rende pas visite ces temps-ci.... avec le monde que nous sommes obligés de rencontrer chaque jour pour gérer la crise à Abidjan, il a raison et il est sage..

-VOS HABITUDES : si vous râlez sur le changement de vos habitudes, vous vous habituerez difficilement en ces temps de Coronavirus. Le métabolisme du corps humain changera progressivement et de lui-même. Dites vous que vos privations sont passagères. Cette seule idée vous aidera .

-LE TÉLÉPHONE : à certaines heures, le téléphone sera votre seul lien avec le monde mais souvenez vous de ne pas polluer votre imaginaire avec les images et des pensées déstabilisatrices.
Jusqu’à preuve du contraire, le Coronavirus ne se transmet pas par les ondes . Donc si vous apprenez qu’un proche est malade ou en confinement/quarantaine obligatoire des services médicaux, appelez le pour lui apporter du réconfort.

Ici à Abidjan, apprenez à laisser un message écrit ou vocal en temps de crise lorsque vous n’arrivez pas à joindre un proche. N’appelez pas sans cesse. Un appel manqué est souvent un appel perdu . Mais un petit texto d’information, d’affection ou même de détresse est utile car si vous avez besoin d’aide , chaque minute compte .

EN DÉFINITIVE, après cette crise , et quoi qu’en soit l’issue chacun de nous ne devra plus être le même. Notre relation avec l’argent, le matériel, le bien, la communauté, notre relation avec nous mêmes devra utilement changer.

EN CE QUI ME CONCERNE , quand vous avez vécu ces expériences brièvement décrites ci-dessus , quand vous avez dormi à même le sol, dans des voitures, dans des avions incapables de décoller faute d’autorisations dans des pays en crise ou en décrépitude totale , quand vous avez vu des guerres dans les forêts et dans les déserts, quand vous voyez des visages rugueux et antipathiques portant des armes effrayantes, quand vous sortez les matins de votre dortoir et que vous voyez des corps , lorsque vous êtes pris au piège d’un conflit armé spontané, qui fait des centaines de morts en quelques minutes , vous n’êtes plus le même.

Lorsqu’après ces expériences, vous revenez au pays et que vous accordez une priorité aux quartiers difficiles d’Abidjan comme Gbinta, Micao, Boribana, Adjouffou, Zoe Bruno, Colombie, etc, il y en a qui pensent que vous prenez des risques, alors que ces quartiers difficiles sont de petits paradis comparés à d’où vous venez et à l’expérience que vous avez vécue dans les autres pays. 

Après avoir vécu une ou des situations de crises , qui nous rappellent notre petitesse dans l’univers et la vacuité de nos prétentions, nous ne pouvons plus être les mêmes.

Respectons donc toutes les consignes du Gouvernement.

Cette crise sera un jour un lointain souvenir, si nous nous auto -disciplinons.  Discipline, discipline, discipline.

Ensemble, nous vaincrons le Coronavirus. 

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Blog : http://vincenttohbiirie.com

VINCENT TOH BI IRIÉ,
Préfet Hors Grade,
Préfet de Région,
Préfet d’Abidjan