Vous êtes ici

Back to top

Bayard Rustin, ce gay méconnu qui militait aux côtés de Martin Luther King

Apr-News / Bayard Rustin, ce gay méconnu qui militait aux côtés de Martin Luther King
Samedi, 9 juin 2018

Bayard Rustin, ce gay méconnu qui militait aux côtés de Martin Luther King

APRNEWS - Le 28 août 1963, Martin Luther King prononçait à la tribune son célèbre discours intitulé «I have a dream» devant 250 000 personnes. 50 ans plus tard, ce mercredi 28 août 2013, le président Barack Obama prononcera à son tour un discours très attendu depuis le Lincoln Memorial. Il y a quelques jours, le chef d’État américain avait pris soin de rendre hommage à celui sans qui la Marche sur Washington n’aurait pas pu avoir lieu: Bayard Rustin. Lauréat à titre posthume de la médaille de la Liberté, la plus haute distinction pour un civil, il est décrit par la Maison Blanche comme «un Afro-Américain ouvertement gay, qui se tenait à l’intersection de plusieurs luttes pour l’égalité des droits».

UN LOURD PASSIF
Organisateur et coordinateur hors pair, Bayard Rustin est l’architecte qui a permis à Martin Luther King de prendre la parole devant une telle foule il y a un demi-siècle de cela. Dans un long portrait, le Guardian salue l’ingéniosité de cet homme qui a su penser aussi bien au contenu du discours qu’à la distribution de 800 000 sandwiches sans mayonnaise, de peur qu’avec la chaleur, celle-ci provoque des diarrhées chez les spectateurs/trices. John d’Emilio, le biographe de Bayard Rustin, décrit ainsi les semaines qui ont précédé ce qui fut l’un des plus grands rassemblements politiques aux États-Unis:

«Il dut bâtir une organisation à partir de rien. Il dut fédérer des personnes pour en faire une équipe à même de travailler sous de fortes pressions. Il dut former une coalition soudée malgré la concurrence systématique, les animosités personnelles et les antagonismes politiques. Il dut manœuvrer à travers le champ miné d’une opposition allant des libéraux préconisant la modération aux ségrégationnistes à l’œuvre pour saboter l’événement. Et il dut faire tout cela tout en restant assez loin des regards pour que son passif ne pèse pas sur son travail.»

Son «passif»? Bayard Rustin était un objecteur de conscience communiste en sus d’être homosexuel. Il a notamment été condamné à deux mois de prison après son interpellation pour avoir eu une relation sexuelle avec deux hommes dans une voiture sur un parking de Pasadena en 1953. Ce qui ne l’a pas empêché de côtoyer les plus grands pasteurs de l’époque, dont, évidemment Martin Luther King. Un mois avant la Marche sur Washington, le sénateur ségrégationniste Strom Thurmond a d’ailleurs tenté de décrédibiliser le prédicateur en utilisant Bayard Rustin. Il a brandi au Sénat une photo du révérend dans sa baignoire en pleine conversation avec l’activiste gay. L’attaque fut heureusement un coup d’épée dans l’eau.

L’organisateur de la Marche sur Washington était aussi décrié dans sa propre communauté. Ses positions et ses choix ne plaisaient pas à certain.e.s de ses pairs. Cela ne l’a pas empêché de prendre la tête de la logistique de cette manifestation sans pareille jusqu’à alors. Excentrique mais efficace et hyperactif, Bayard Rustin a transformé une église de Harlem à New York en quartier général pour planifier le rassemblement. Sa mission consistait à calmer les ardeurs des plus radicaux/les pour que tou.te.s se sentent en mesure d’assister à l’événement sans crainte, mais aussi à prévoir combien de sanitaires seraient nécessaires pour une telle affluence.

LA RUPTURE AVEC MARTIN LUTHER KING
Auprès de Martin Luther King, il était avant tout un conseiller. La non-violence et les idées de Gandhi ont été suggérées au pasteur par Bayard Rustin. Une rupture avait toutefois eu lieu entre les deux hommes lorsque le prédicateur a refusé de soutenir son collaborateur quelques années avant la Marche, raconte John d’Emilio sur Democray Now.

«Adam Clayton Powell, élu d’Harlem à la Chambre des Représentants, n’aimait pas le fait que des radicaux, comme Bayard Rustin, attirent autant l’attention et évoluent dans la même sphère que lui au Parti démocrate. Il a fait comprendre à Martin Luther King que s’il ne prenait pas ses distances avec Bayard Rustin, il ferait courir le bruit qu’il y avait quelque chose entre eux. Et cela a fait peur au Dr. King, et Bayard a décidé de démissionner. Mais il espérait aussi qu’à ce moment-là, quelqu’un prendrait sa défense. Et quand personne ne l’a fait, ce fut… ce fut douloureux. Ce fut très douloureux. Alors il a passé quelques années, au début des années 60, à s’impliquer surtout dans le mouvement pacifiste plutôt que dans les droits civiques à cause de cette rupture. Et c’est la Marche sur Washington qui l’a remis au centre.»

Son homosexualité est demeurée un frein à son activisme dans la mesure où les militant.e.s pour les droits des personnes de couleur cherchaient à donner une «bonne image» à leur mouvement. Lorsque les «bus de la liberté», censés lutter contre la ségrégation dans les transports ont commencé à circuler, les communistes, les toxicomanes, les mineur.e.s et les homosexuel.le.s en étaient exclu.e.s pour ne pas prêter le flanc à la critique. Bayard Rustin avait d’ailleurs adhéré à cette stratégie et préféré se mettre en retrait plutôt que de porter atteinte au mouvement.

«LES HOMOS SONT LES NOUVEAUX NÈGRES»
Vers la fin de sa vie, à la fin des années 70, la libéralisation de la société l’a aidé à prendre la parole de façon plus appuyée sur les droits des personnes LGBT. Walter Naegle, qui fut le compagnon de Bayard Rustin jusqu’à la mort de celui-ci en 1987, se souvient qu’il était beaucoup plus volubile sur la question:

«Il a commencé à parlé de ses propres expériences en tant qu’homme gay. Et il était invité à des conférences et des conventions par des groupes homos et il était interviewé par la presse homo. À ce moment-là, il était plus… à l’aise et ouvert sur ce qu’il était et ce qu’il avait vécu. Je pense qu’il était un peu surpris et enchanté. Je veux dire qu’à l’époque,  il venait d’avoir dans les soixante-dix ans. Et le mouvement homo, tel que je me le rappelle, quand il a commencé, était essentiellement un mouvement de jeunes. Alors je pense qu’ils le voyaient comme une figure d’autorité, un aîné, si vous voulez.»

Dans un discours de 1986, intitulé «Les homos sont les nouveaux nègres», Bayard Rustin a tenté de comparer les progrès de la lutte pour les droits civiques des personnes de couleur et le combat pour l’égalité des droits des homosexuel.le.s, rapporte Killing The Buddha, une publication portant sur la culture, la religion et la politique.

«Aujourd’hui, les noir.e.s ne sont plus la référence ou le baromètre des évolutions sociales. Les noir.e.s sont dans tous les secteurs de la société et il y a des lois qui les protègent de la discrimination raciale. Les nouveaux « nègres » sont homos. C’est dans ce sens que les homos sont le nouveau baromètre des évolutions sociales. La question des avancées sociales doit avoir pour cadre le groupe le plus vulnérable qui vienne à l’esprit: les homos.»