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Batien Nignan : De la faculté de droit au studio photo

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Jeudi, 24 juin 2021

Batien Nignan : De la faculté de droit au studio photo

Depuis près de dix ans maintenant, Batien Nignan, plus connu sous le sobriquet de « Pasteur », roule sa bosse dans le domaine de la prise de vue. L’objectif de ce diplômé en droit, bâtir une entreprise qui résiste au temps. 

Batien Nignan : De la faculté de droit au studio photo - leFaso.net

On peut régulièrement apercevoir sa fine silhouette dans des mariages, baptêmes et cérémonies diverses, appareil photo ou caméra au poing, pour immortaliser l’évènement. « Actuellement, il n’y a pas une seule mairie, un seul salon populaire de beauté que je ne connais pas », s’amuse-t-il. Son studio sis avenue Charles de Gaulle à Ouagadougou est une véritable ruche où se fait le montage de vidéos, la conception d’albums photos et les prises de vue pour les demandes de visas.

Et pourtant, faire carrière dans la photographie n’était pas évident pour l’enfant de Ly, une commune rurale située dans le département de Tô de la province de Sissili, dans la région du Centre-Ouest, au Burkina Faso. C’est là qu’il a vu le jour. C’est aussi dans cette commune rurale qu’il a fait ses premiers pas à l’école. Il se souvient : « A Ly, nous étions la première promotion de notre école. Nous y avons passé six ans. Au début, la classe avait un effectif de 80 élèves. Au CM2, nous n’étions plus que 20. C’est en 1999 que j’ai décroché le CEP. Puis, je suis allé à Tô pour faire le collège. Nous étions la deuxième promotion. J’ai décroché le BEPC en 2003 ».

La rencontre fortuite 

Après le premier cycle du secondaire, il met le cap sur Gaoua, dans le Sud-Ouest. « Mon frère aîné a eu un travail à Gaoua. Comme c’était le seul qui pouvait m’héberger et me prendre en charge, je suis allé fréquenter le lycée provincial Bafuji, de 2003 à 2006 », explique-t-il. C’est dans cette ville qu’il décroche le baccalauréat A4, avant de rentrer au village. Pas pour longtemps. Il revient à Ouagadougou pour y poursuivre des études universitaires. Il est orienté à la faculté de droit. « Je n’ai pas particulièrement choisi de faire le droit, soutient Batien Nignan. Nous avions la possibilité de faire trois choix pour l’orientation à l’université après le Bac. C’est l’administration qui décidait finalement là où tu allais être orienté. Je pense que j’avais opté pour droit, lettres modernes, anglais. Finalement, on m’a mis en droit. À l’époque, un diplôme en droit ouvrait beaucoup plus de portes dans le monde de l’emploi ».

Alors qu’il venait déposer sa demande d’orientation, il fait fortuitement une rencontre qui, sans qu’il ne le sache encore, va donner un tournant à sa vie. À la scolarité de l’université de Ouagadougou où il était allé déposer son dossier, il tombe sur un photographe, M. Tiéné, qui prend quelques clichés de lui pour son dossier et l’aide ensuite à remplir sa demande d’orientation. Tout de suite, les deux sympathisent. En attendant les résultats de sa demande d’orientation, le jeune Nignan retourne auprès de ses parents pour les vacances.

À la rentrée, le voilà encore à Ouagadougou, avec en poche le numéro d’un parent, travailleur dans une société de téléphonie, chez lequel il compte loger en attendant de se trouver une chambre en cité universitaire. Mais rien ne se passe comme prévu. Le parent en question est injoignable, malgré de multiples tentatives. « J’ai alors eu l’idée de venir chez mon ami qui fait les photos. Je lui ai posé mon problème. C’est lui qui m’a hébergé. Petit à petit, je suis un peu devenu son assistant. Il m’envoyait parfois au laboratoire pour laver ses photos. Je voyais qu’avec cette activité, il s’en sortait. Il était l’un des rares étudiants à posséder une moto Ninja. Sa chambre en citée était bien faite. Je voulais lui ressembler », avoue Batien Nignan.

Tout en donnant un coup de main à son ami, il poursuit ses études de droit et décroche une licence. Mais en quatrième année, il échoue à son examen. « Ces examens ont été reprogrammés mais je ne suis pas parti. J’avais validé la moitié des matières. Quand je suis reparti pour terminer, j’ai vu que la procédure était un peu compliquée. Et comme je n’avais plus de motivation, j’ai laissé tomber ». C’est que « Pasteur », comme on le surnomme, a eu entre temps une idée très précise de ce qu’il voulait faire dans sa vie : la photographie. D’autant plus que son ami, admis à un concours, est parti en formation à l’École normale supérieure des enseignants de Koudougou. « Je me suis dit que j’allais trouver un métier pour subvenir à mes besoins. En réfléchissant, j’ai compris que c’est la photographie seule que je pouvais entreprendre sans avoir besoin de gros fonds de démarrage. Je suis allé prendre un appareil à crédit dans un des laboratoires où il m’envoyait laver les photos. C’était un appareil de seconde main qui coûtait 15 000 FCFA. Je pense que j’ai dû donner une avance de 5 000 ou 10 000 FCFA. Le reste, j’ai pu solder en une semaine ».

Sa clientèle cible : ses camarades étudiants qui avaient besoin de photos pour leur inscription, leur dossier de prêt étudiant, la carte de bibliothèque... « C’est comme cela que je me suis retrouvé dans la photographie. Avec le temps, j’ai décidé d’améliorer l’organisation de mon studio », résume-t-il.

Perfectionner ses connaissances en photographie

Pour parfaire sa pratique, il suit des formations en ligne ou des tutoriels. Il s’appuie aussi sur les aînés en photographie : « Il y a ceux qui nous ont devancés dans le domaine. Si tu es humble, ils te filent des astuces, prennent leur temps pour t’expliquer. Dans ce domaine, il ne faut pas être orgueilleux. Une fois je suis allé à la RTB parce que j’avais acheté une Z7 (une caméra, Ndlr) que je ne maîtrisais pas. Le réalisateur Pierre Komdaogo a pris tout son temps pour m’expliquer ». Il compte s’inscrire à l’ISIS dans l’espoir d’accrocher à son palmarès un diplôme de réalisateur. Il se justifie en disant que « parfois, tu as des marchés mais le fait de ne pas posséder de diplôme te pénalise ».

En attendant, son studio qui emploie quatre personnes à temps plein est une véritable école de formation qui a vu passer une quarantaine de jeunes au fil du temps. Ce qui, quelques fois, est un casse-tête pour le patron des lieux. « Les jeunes viennent et ils partent. Or, notre domaine est particulier. Dans une alimentation, tu peux te permettre d’engager quelqu’un et dès le lendemain, il commence à vendre. Ce qui n’est pas le cas en vidéo où quelqu’un peut prendre un an pour apprendre le filmage, le montage. Maintenant comme j’ai compris la mentalité des jeunes, j’essaie de m’adapter. Au lieu d’un salaire, je leur verse un pourcentage des recettes. Ils savent ce que l’on gagne comme argent, puisque ce sont eux qui encaissent et établissent les reçus. Certains ont peur d’accepter. Mais dans la vie, il faut savoir prendre des risques. »

« Mon ambition est d’être un pasteur »

À présent, ce père de famille - une femme avec laquelle il travaille au studio, deux enfants - rêve de posséder son propre siège. « Nous avons été déguerpis plusieurs fois. Et à chaque fois, c’est comme si nous allions disparaître. Nos clients sont notre fonds de commerce. Quand vous changez d’adresse sans cesse, vous pouvez les perdre ».

Avec sa licence en droit, il s’est inscrit à l’Université de théologie chrétienne Logos (UCLO), à Ouagadougou. Il y a validé une licence en théologie dans l’espoir qu’un jour, il deviendra un "vrai" pasteur. Il est actuellement l’adjoint d’un pasteur qui lui confie des charges. Ses prêches, on peut les lire ou les écouter sur les réseaux sociaux et sur YouTube. « Comme je ne veux pas dépendre entièrement des financements de gens, je préfère mettre en place une entreprise solide qui va me permettre de vivre. Quand tu ne dépends pas trop des finances de quelqu’un, tu peux mieux t’exprimer. À terme, mon ambition est d’être un pasteur ».

« La photographie est un travail d’humilité. Le photographe doit servir les gens. Il ne faut pas non plus devenir entrepreneur par dépit, parce qu’on a raté tous les concours. Il faut choisir de le faire. Il ne faut pas être paresseux, ni pressé de s’enrichir. Au début, il n’y a que des sacrifices, que du travail, que de l’apprentissage, que de l’humilité. Cette patience manque aujourd’hui à beaucoup », conseille-t-il aux jeunes.

Aprnews avec Le Faso.net