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Au Sénégal, des couturières se lancent dans le numérique

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Mardi, 10 novembre 2020

Au Sénégal, des couturières se lancent dans le numérique

Le laboratoire de fabrication Senfablab aide les femmes d’un quartier populaire de Dakar à moderniser des métiers traditionnels. « C’est facile et plus rapide ».

Sur un écran d’ordinateur, Fatou Ndiagne dessine les traits de fines feuilles d’arbres avec la pointe de sa souris. L’apprentie couturière de 22 ans, foulard blanc autour de la tête, essaie différentes couleurs, selon son imagination. « Ce motif sera ensuite cousu sur une robe grâce à une machine de broderie numérique », explique-t-elle, fière de ses nouvelles compétences.

Après avoir arrêté les études à la fin du collège, la jeune Sénégalaise n’a pas renoncé à son rêve d’ouvrir son propre atelier de couture, qu’elle veut à la fois traditionnel et innovant. Ainsi, tous les mercredis depuis un an, elle assiste à un cours d’informatique et de broderie numérique au centre de couture de Grand Yoff, dans une salle située en surplomb du bruyant marché de ce quartier populaire de Dakar.

A ses côtés, une dizaine d’élèves travaillent avec application sur des ordinateurs portables d’occasion. Téléphones à la main, certaines essaient de reproduire sur un logiciel les designs de broderies dénichés sur Internet. La formation est dispensée par le laboratoire de fabrication Senfablab, créé en 2018 à Grand Yoff. « C’est un quartier défavorisé et surpeuplé où le chômage touche particulièrement les jeunes et les femmes », explique Mohamadou Ngom, son cofondateur et manager.

« Elles n’ont jamais touché un ordinateur »

Imprimante 3D, découpeuse laser, machines de broderie numérique ou de sérigraphie… Bien doté en outils de toutes sortes, le fablab, situé à quelques pas du centre de couture, est un lieu de créativité et d’apprentissage accueillant des lycéens, des artisans, des personnes à mobilité réduite, mais aussi des femmes, notamment grâce au programme « Jiguenn au lab », qui signifie en wolof « les femmes au lab ». « L’idée est de leur donner accès à un métier et qu’elles puissent valoriser et moderniser leur travail traditionnel grâce au numérique », explique Mohamadou Ngom, qui compte sur le partenariat avec l’association française My Human Kit pour financer une partie du matériel.

« Nous accompagnons surtout les couturières du quartier ou les femmes sans revenus qui restent à la maison. Il faut qu’elles puissent soutenir leur famille, surtout en ce moment, avec la crise économique liée à la pandémie de Covid-19 », continue M. Ngom. Au Sénégal, le taux de croissance en 2020, initialement attendu à 6,8 %, ne devrait finalement pas dépasser 2 % du fait de la crise économique et sanitaire, selon le ministère des finances.

Depuis 2019, Senfablab accompagne et forme à la broderie numérique une quarantaine de femmes chaque année. « L’enjeu est d’initier des femmes qui n’ont jamais touché un ordinateur, certaines ne savent même pas lire et écrire », résume Kène Diop, formatrice. Dans la salle mitoyenne à celle des ordinateurs, une institutrice enseigne à trois jeunes filles les bases du français. « Dans quelques mois, elles utiliseront les ordinateurs de façon autonome », espère Astou Ngom, craie à la main. Elles pourront alors créer leurs propres motifs de broderie grâce aux logiciels de dessin.

« Je fais des motifs différents et plus précis »

Une fois mis sur clé USB, les modèles sont cousus automatiquement par une machine à broder numérique. Cet outil, qui coûte 1,3 million de francs CFA (près de 2 000 euros), est inaccessible pour les couturières de ce quartier. Kène Badi, propriétaire d’un atelier de couture, vient donc toutes les semaines au fablab pour l’utiliser. « Je fais maintenant des motifs différents et plus précis, mais surtout c’est facile et plus rapide », s’enthousiasme l’entrepreneuse, qui avait déjà quinze ans d’expérience au moment de se lancer dans la couture numérique. Son chiffre d’affaires, assure-t-elle, a augmenté de 10 % grâce à une meilleure productivité. Et elle fait désormais appel à deux ouvriers pour pouvoir satisfaire les commandes. Ce sont surtout pendant les fêtes religieuses, comme la Tabaski (fête du sacrifice du mouton), que cette technique l’aide à produire en quantité.

Malgré de tels succès, M. Ngom regrette qu’il manque un suivi des femmes bénéficiant de la formation. Aujourd’hui, seule une partie d’entre elles percent dans l’entrepreneuriat. « Nous cherchons des partenaires et des financements pour accompagner les femmes à créer ou renforcer leur entreprise et trouver un espace pour travailler sur la durée », explique-t-il. Car le numérique n’est pas une fin en soi, rappelle-t-il, mais un outil pour espérer sortir des foyers de la pauvreté.

Le Monde Afrique