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APRNEWS - Tidjane Thiam à propos de Crédit Suisse : « J’ai créé une banque autonome et performante »

Affaire Crédit Suisse, Tidjane Thiam
Lundi, 27 mars 2023

APRNEWS - Tidjane Thiam à propos de Crédit Suisse : « J’ai créé une banque autonome et performante »

APRNEWS - Après le sauvetage de la deuxième banque suisse, rachetée par UBS, des questions se posent. Actionnaires, management, autorités financières…, tout le monde cherche les raisons profondes des difficultés de Crédit Suisse. De cafouillages en humiliations et  de délires en incompréhensions, les détracteurs de Tidjane Thiam osent quelques explications tendancieuses de la dépression bancaire helvétique. C’est dans ce flou artistique et ce climat de suspicion que l’ex-Directeur général de Crédit Suisse, une voix experte donc, livre un diagnostic d’une cohérence implacable sur la situation de son ancienne banque. Analyse !

Tidjane Thiam est dans un état de profond saisissement, car, ce qui se déroule sous ses yeux lui parait irréel. Et ce, d’autant qu’au moment de son départ de Crédit Suisse, en 2020, « la banque venait de publier ses bénéfices les plus élevés depuis 10 ans », pour saluer la restructuration en profondeur qu’il avait opérée.  

Aussi, marque-t-il sa stupéfaction devant la frénésie avec laquelle Crédit Suisse, ce fleuron de la finance suisse depuis plus de 160 ans, est tombé dans l’escarcelle de son concurrent UBS. Au-delà d’une simple hypothèse tirée de l’analyse des signes, l’ex-patron de Crédit Suisse est formel: « malheureusement, il y aura un impact humain sur les milliers de personnes, et de nombreux anciens collègues, qui risquent de perdre leur emploi à la suite de ce sauvetage ».

La bonne santé de Crédit Suisse du temps de sa gestion, a été, selon Thiam, le résultat logique d’une approche rationnelle. Le banquier révèle aujourd’hui ses choix stratégiques : « Loin de la banque d’investissement, la gestion de fortune ». C’est-à-dire, fournir aux clients une expertise patrimoniale financière, juridique et fiscale, et gérer leurs actifs en fonction de leurs objectifs et de leur degré d’aversion au risque.  

Par les mérites de ce choix, il s’agissait, pour Tidjane Thiam et son équipe,  de réaliser pleinement le potentiel de la franchise. Un modèle de gestion performant, combinant la marque, le savoir-faire et l’assistance technique et commerciale. Ce prototype est basé sur la duplication d’un type économique dont le succès est avéré. Il fallait faire vite, Crédit Suisse était au creux de la vague : « Mais une tâche tout aussi importante consistait à renforcer le bilan, qui se situait au bas de la liste des banques d’importance systémique lorsque je l’ai rejointe ».

Dès lors, Tidjane Thiam a affronté, sans peur, des situations complexes, notamment les craintes à propos des titres structurés adossés à des prêts hypothécaires à risque et les appréhensions liées au manque de rigueur des accords et des conditions de prêt appuyant les activités de rachat par l’emprunt.  Le banquier a mis en priorité le risque, mais, dans le strict respect de la règlementation prudentielle du secteur bancaire et  du formalisme de la gouvernance adéquate.

In fine, au point de confluence entre ses choix stratégiques et leur déploiement à travers les diverses activités de la banque d’une part, et ses méthodes de gestion d’autre part, Crédit Suisse a réussi à dégager des profits :  « Nous avons donc levé 10 milliards de Francs Suisse de capitaux propres, réglé des problèmes hérités de plusieurs milliards de dollars du marché américain des titres hypothécaires à la Mozambique, réduit l'exposition aux risques de 45% et éliminé plus que 100 milliards de Francs Suisse d’actifs dépréciés…qu’un important programme de réduction des coûts à l’échelle de la banque était déjà engagé ».

Tidjane Thiam n’aura pas le temps de consolider ces acquis, ni d’améliorer considérablement les systèmes de gestion de risque et de conformité. Ces actions de bonne gestion nécessitaient pourtant, pour une entreprise de grande envergure, selon ses prédictions, un investissement majeur sur une période de 10 ans. Malheureusement, l’homme est contraint au départ, suite à un scandale de filature et d’espionnage présumé. Alors que l’es-Dg et son équipe avaient réussi « à produire plus de 200 milliards de dollars de flux en gestion de fortune, à réduire les risques et à réduire les coûts d'exploitation et les coûts hérités du passé », donnant ainsi naissance à une banque suisse autonome et performante.

Aujourd’hui, trois ans seulement après Thiam, Crédit Suisse connait une situation d’infortune sans commune mesure. Alors, les spéculations, des plus rationnelles aux plus délirantes éclosent. Pour ses détracteurs, la responsabilité de Tidjane Thiam est grande : il aurait dû faire ci, il aurait dû faire ça !

Cette brusque clarté des visions rétrospectives semble répondre au dessein de lui faire porter le chapeau.  Mais, pour le polytechnicien, les vraies questions sont plutôt ailleurs :

- « Le rachat de Crédit Suisse était-il la seule "solution réalisable" dans un court temps » ?

- Les régulateurs devraient se demander s’ils doivent autoriser un acteur national unique de     cette taille sur le marché suisse » ?

- D’un point de vue plus large, les décideurs doivent renforcer la confiance des investisseurs dans le secteur bancaire européen… »

Effectivement, disposer de plusieurs banques, permet aux entreprises de ne pas supporter la rente informationnelle d’un créancier unique, puisqu’une banque est supposée disposer d’informations privilégiées par rapport aux autres créanciers. Les entreprises de bonne qualité ont donc intérêt à nouer des relations privilégiées avec plusieurs banques. On en fait le constat quotidiennement, la profitabilité des entreprises influence positivement le choix d’une relation multibancaire plutôt qu’une relation exclusive.  «

 L’ex-Dg de la banque helvétique fustige ici le traitement réservé aux détenteurs d’obligations Additional Tier1 (AT1) ou CoCo bonds. En effet, dans leur décision de sauver Crédit Suisse, les régulateurs n’ont pas respecté un certain ordre hiérarchique. Ils ont privilégié les actionnaires de Crédit Suisse. Ceux-ci recevront 3 milliards de francs, ou 76 centimes par action, alors que les détenteurs de CoCo bonds se retrouvent sans rien. Les régulateurs ont enfreint les règles du jeu. Pourtant, en théorie, ce sont les possesseurs d’obligation AT1 qui sont privilégiés en cas de crise. C’est pourquoi, Tidjane Thiam parle avec justesse d’une « incertitude réglementaire qui plane actuellement sur le secteur bancaire ». Pour les banques européennes, friandes de CoCo bonds, le pire est à craindre : « Ce qui s'est passé se déroulera dans les tribunaux pendant des années ». Toutes choses qui « favoriseraient les rivaux américains et asiatiques qui pourraient sortir de tout cela, relativement plus forts », a-t-il conclu.

Enfin, le banquier ivoirien invite désormais les régulateurs à impliquer les actionnaires dans le vote sur les modifications apportées aux lois d’urgence. La compétitivité des banques européennes, avertit-il, est à ce prix. Aussi, Thiam conseille « plus de transparence avec les investisseurs sur la réponse probable des décideurs ». Sinon, prévient-il, « Crédit Suisse sera tombé en vain ».

Jean Clotaire Tétiali