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APRNEWS : ces femmes qui ont abandonné la pilule au profit de la contraception naturelle

crise - contraception - femme
Samedi, 17 décembre 2022

APRNEWS : ces femmes qui ont abandonné la pilule au profit de la contraception naturelle

APRNEWS - Crises des pilules, développement personnel, religion: les raisons de refuser de (continuer à) prendre des hormones synthétiques ou de se faire poser un stérilet peuvent être multiples. Attention toutefois, toutes les méthodes ont leurs contraintes et leurs risques.

APRNEWS - «J'ai commencé la pilule vers 14-15 ans. Les effets secondaires étaient de pire en pire. C'était devenu tellement insupportable pour moi de la prendre que je l'oubliais. J'avais envie d'arrêter les hormones synthétiques et je ne connaissais pas d'autre alternative que le stérilet, mais c'était impensable pour moi d'avoir un corps étranger dans mon corps. Et puis, je suis tombée sur une vidéo YouTube d'une Québécoise qui parlait de la symptothermie [une méthode de contraception dite “naturelle”, ndlr], et ensuite sur un manuel qui explique la méthode, et je me suis dit: “On va tenter”.»

Célia, influenceuse, community manager et praticienne reiki (une méthode consistant à équilibrer les énergies), décrit ainsi le chemin qui l'a amenée à adopter la symptothermie, basée sur la surveillance de la température du corps et l'observation de la glaire cervicale afin d'en déduire les jours d'ovulation. Ce procédé fait partie de ce que l'on appelle couramment les «méthodes de contraception naturelles», qui ont notamment bénéficié de la popularité des médecines alternatives et du développement personnel.

Si la symptothermie connaît un relatif engouement, notons toutefois avant toute chose que l'on n'assiste ni à la fin de la pilule, qui reste le moyen contraceptif le plus prescrit en France, ni à un boom des méthodes naturelles. «Ce que l'on voit statistiquement, c'est qu'il y a des femmes qui les essaient, mais que celles qui les adoptent de manière pérenne sont très rares», relate ainsi Cécile Thomé, docteure en sociologie et spécialiste de la contraception.

Une méthode de classes moyenne et supérieure

Cela n'empêche pas de plus en plus de femmes de se questionner sur la prise d'hormones contraceptives. «Il y a un moment qui a été important pour la contraception en France, c'est ce qu'on appelle la “crise des pilules” de 2012-2013, un scandale sur les pilules de troisième et quatrième génération, rappelle la sociologue. Cela faisait déjà une dizaine d'années qu'il y avait une baisse de la consommation de pilules en France, et ça s'est accéléré à ce moment-là ,avec des femmes qui demandaient: “Est-ce qu'on sait vraiment ce qu'il y a dedans? Est-ce que les effets secondaires sont très importants?”»

Mais alors, quel moyen contraceptif peuvent choisir d'adopter celles qui décident de se passer de la pilule? Selon Cécile Thomé, cela dépend du milieu social. «Chez des femmes de milieu plus populaire, c'était plutôt le préservatif, alors que dans les classes moyennes et supérieures, c'était plutôt le stérilet au cuivre Et, plus rarement, les méthodes naturelles.

«Il y a un intérêt des femmes, en particulier dans les classes moyennes et supérieures, pour la compréhension physiologique de leur corps, précise-t-elle. C'est plus une recherche de soi qu'une volonté de ne plus avoir à faire à la technologie. Ce qui s'inscrit dans la thématique du développement personnel, qui est aussi assez néolibéral: en se connaissant mieux, on sera plus heureux, mais aussi plus efficace.» D'ailleurs, selon la sociologue, «la question du naturel est très construite. C'est naturel mais avec un thermomètre, un ordinateur.»

Si les femmes ayant recours à la symptothermie viennent de ces milieux, c'est également pour des raisons très pratiques, puisqu'il faut avoir des conditions de vie qui le permettent: «il faut avoir accès aux explications, les comprendre, avoir une certaine familiarité avec son corps, dormir au moins cinq ou six heures la nuit –donc avec des enfants en bas âge, c'est compliqué».

Prudence de mise

Pour la spécialiste de la contraception, la question de l'évaluation de ces méthodes est toutefois complexe. «Pour mesurer l'efficacité d'une contraception, on utilise l'indice de Pearl, qui correspond au nombre de grossesses non désirées en une année pour cent femmes. Le problème, c'est qu'on a deux indices de Pearl: l'indice théorique et l'indice effectif.» Le premier correspond à une utilisation parfaite et optimale de la méthode; le second inclut les risques d'erreurs. Or, «pour les méthodes naturelles, on a de grosses différences entre les indices théoriques et effectifs».

Dans son guide 2018 des méthodes de planification familiale, l'Organisation mondiale de la santé avance un indice de Pearl théorique inférieur à 1 pour la symptothermie (soit moins d'une grossesse non désirée par an pour cent femmes), et un indice effectif de 2. D'autres méthodes comme le retrait ou le comptage des jours du cycle ont une efficacité bien moindre, avec des indices effectifs de 20 et 12. Par comparaison, les pilules ont un indice de Pearl effectif de 7, et le stérilet au cuivre inférieur à 1. On peut donc dire que la symptothermie est relativement efficace.

Cécile Thomé recommande toutefois la prudence. «Les indices effectifs sont plus compliqués à mesurer, c'est dur d'avoir de vrais chiffres là-dessusPar ailleurs, ça a été aussi beaucoup promu par des associations catholiquespour lesquelles la notion d'accueil de la vie est importante, et qui ne parleront jamais d'échec.» La plupart des formations aujourd'hui disponibles viennent d'ailleurs d'organisations catholiques, la contraception naturelle étant la seule acceptée par l'Église.

«Durant une enquête, j'ai rencontré une médecin généraliste, qui connaissait donc bien son corps, qui avait essayé. Elle est tombée enceinte, parce que ce sont des choses qui ne sont quand même pas évidentes à mettre en place», poursuit la sociologue.

«Il y a du bon et du mauvais
dans tout»

Pourtant, même si elles ne conviennent pas à tout le monde, les méthodes dites naturelles ont leurs utilisatrices qui n'envisagent pas de repasser à une contraception hormonale ou de se faire poser un dispositif intra-utérin. «Je ne reviendrais vraiment en arrière pour rien au monde, affirme ainsi Célia avec enthousiasme. Ça me paraît fou, d'ailleurs, que ce ne soit pas une méthode qu'on utilise plus. Il y a du bon et du mauvais dans tout, mais ça délivrerait pas mal de femmes des effets secondaires de la pilule

Elle regrette par ailleurs que beaucoup de professionnels de santé prennent de haut ces méthodes: «On infantilise les femmes parce qu'on estime qu'elles ne seront pas capables de gérer leur fertilité toutes seules. On n'est pas juste des incapables complètement irresponsables qui vont tomber enceintes la semaine prochaine!»

Quant aux contraintes, Célia ne les ressent même plus. «Au début, j'appliquais vraiment tout à la lettre, parce que c'est une méthode qui est très rigoureuse, mais au fil du temps, c'est devenu naturel pour moi, affirme-t-elle. Comme certaines vont prendre la pilule sans se poser de question, écouter mon corps et prendre ma température, vérifier ma glaire cervicale à chaque fois que je vais aux toilettes, ça fait partie de mon quotidien. Je suis vraiment devenue plus à l'écoute de mon corps, et les observations que je fais par le biais de la symptothermie sont juste devenues une confirmation de ce que je ressens.»

Pour Cécile Thomé, même si elles ont des limites, ces méthodes peuvent en effet être une bonne option pour certaines femmes. «Je pense qu'une fois qu'on est rodée, qu'on connaît très bien son corps, et si celui-ci fonctionne de manière toujours identique –ce qui n'est pas le cas de beaucoup de femmes–, ça peut tout à fait fonctionner, estime la spécialiste. Il y a des couples et des femmes à qui ça peut convenir. Mais pour autant, acquérir le savoir et la technique pour utiliser ces méthodes dites “naturelles”, ce n'est quelque chose qui n'est pas à la portée de tout le monde.»

Source : slate