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Après Bamako, la peur de répliques dans la région

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Vendredi, 21 août 2020

Après Bamako, la peur de répliques dans la région

Dans les pays francophones d’Afrique de l’Ouest on craint que le coup d’Etat au Mali fasse des émules.

Depuis mardi, tous les regards de l’Afrique francophone semblent tournés vers le Mali. Car le coup d’Etat militaire, qui a renversé si rapidement le président Ibrahim Boubacar Keïta («IBK»), «suscite un regain d’espoir», constate l’analyste ivoirien Franck Hermann Ekra : «Comme si un "modèle malien" venait de voir le jour. Et que, notamment dans les pays voisins, chacun s’autorise enfin à penser que "tout est donc possible", en rapprochant ce qui s’est passé au Mali de situations analogues, de rejet du pouvoir en place, vécues à domicile.»

Force

Des militaires acclamés par la foule chassent du pouvoir, sans coup férir, un président impopulaire, accusé de népotisme, corruption, gabegie, et confronté depuis plusieurs mois à une contestation dans la rue qu’il a réprimée dans le sang ? Le «modèle» est en effet transposable dans certains pays d’Afrique de l’Ouest où auront lieu, ces prochains mois, des élections présidentielles cruciales et déjà contestées, car soupçonnées d’être taillées sur mesure pour assurer la victoire du régime en place. Elles auront lieu le 18 octobre en Guinée, le 31 octobre en Côte-d’Ivoire, le 29 novembre au Burkina Faso et le 27 décembre au Niger, seul pays où le président en exercice, Mahamadou Issoufou, ne se représente pas. Reste que dans tous ces pays, le pouvoir fait face à une forte contestation populaire, les mêmes maux suscitant le même rejet.

«Bien plus que les reproches de corruption ou de gabegie, ce qui est en jeu dans toute la région, ce sont des pouvoirs présidentiels hypertrophiés où tout repose sur le chef de l’Etat. C’est ce que révèle d’ailleurs la démission d’IBK qui a immédiatement provoqué la dissolution de toutes les institutions du pays», souligne encore Franck Hermann Ekra, qui voit dans le putsch militaire au Mali «l’effet boomerang de l’usage des appareils répressifs». Or, c’est également trop souvent à cause de l’usage de la force que les contestations populaires sont étouffées dans certains pays voisins. C’est le cas en Côte-d’Ivoire et en Guinée, où les présidents, Alassane Ouattara et Alpha Condé, se représentent pour un troisième mandat. Dans ces deux pays, la mise en place de nouvelles Constitutions (en 2016 et en 2020, qui prévoient pourtant que le chef de l’Etat ne peut effectuer plus de deux mandats successifs) sert de justification aux sortants pour se représenter. Pour eux, «les compteurs ont été remis à zéro» avec l’adoption des nouvelles lois fondamentales. Fortement contesté, cet argument a provoqué plusieurs manifestations, toujours violemment réprimées, dans les deux pays.

Mais le pouoir n’est guère plus populaire au Burkina Faso et même au Niger, où domine un sentiment de désillusion alors que la majorité de la population ne se reconnaît plus dans ses élites. Lesquelles se révèlent incapables de la sortir de la misère ou de la protéger des exactions des groupes jihadistes qui gagnent sans cesse du terrain, malgré la présence des forces militaires étrangères, françaises notamment. Le Quai d’Orsay a ainsi accru les zones «rouges» déconseillées aux ressortissants français au Mali, Niger, et Burkina Faso.

Cette situation mine également le moral des armées locales, souvent accusées elles-mêmes d’exactions, mais dont les soldats du rang ne cachent pas leur rancœur à l’égard de leurs hiérarchies, soupçonnées trop souvent de s’engraisser à leurs dépens dans le confort des capitales.

Crise

L’armée, voilà bien la grande inconnue. En octobre 2014, au Burkina Faso, c’est le retournement des militaires, refusant soudainement de tirer sur la foule et pactisant avec les manifestants, qui avait permis de renverser le président Blaise Compaoré. Dans l’histoire récente du Mali, ce scénario s’est déjà produit trois fois depuis 1991 : à chaque fois, en prenant le pouvoir, les militaires ont affirmé, comme c’est le cas depuis mardi, vouloir mettre un terme à une dérive dangereuse tout en promettant de restaurer rapidement la démocratie.

Mais le scénario malien, comme celui de 2014 au Burkina Faso, peut-il se reproduire ailleurs ? Difficile à prévoir. Et dans l’immédiat, le cycle des colères et des répressions contribue à accroître l’insécurité régionale. Le coup de force au Mali et la façon dont il a été salué par sa population, comme chez ses voisins, sont pourtant révélateurs d’une crise de confiance profonde et dangereuse envers les dirigeants de ces pays.

Liberation