Vous êtes ici

Back to top

Allemagne : La première danseuse noir dans le Staatsballett

Aprnews - Chloé - Danseuse à Staatsballett - Actualité - Au féminin - Allemagne
Mardi, 3 mars 2020

Allemagne : La première danseuse noir dans le Staatsballett

Chloé a 27 ans et elle a été la première danseuse noire à rejoindre la célèbre compagnie de danse de Berlin, le Staatsballett. Née à Nice, elle nous a écrit pour nous raconter son parcours exceptionnel. Découvrez son témoignage plein d’espoir qui prouve que lorsqu’on nourrit un rêve, on peut le voir se réaliser, même si cela semblait impossible.

« Je suis la première danseuse noire à avoir intégré la célèbre compagnie de danse de Berlin, le Staatsballett, qui représente pour beaucoup de jeunes filles et de jeunes garçons un accomplissement autant qu'un doux rêve.

Longtemps, ce fut le mien ; souvent, j'ai douté. Les préjugés de notre époque, vécus en France comme ailleurs dans le monde, m'effraient autant qu'ils m'inspirent. Mon pays, la France, traverse un moment difficile et je souhaite par mon histoire, la mettre en valeur si je peux, mais avant tout lui exprimer la reconnaissance qu'elle mérite.

Pour mes huit ans, ma mère m’a offert une place pour aller voir « Le Lac des Cygnes » à l’Acropole de Nice. J’ai été impressionnée par les décors, les costumes, les danseurs, les lumières, la musique… Un monde magique et féérique qui m’a fait déclarer que je voulais devenir danseuse. Un rêve de petite fille qui est devenu réalité ! J’ai eu beaucoup de chance car quelques jours après le spectacle, ma mère a décidé de m’inscrire à des cours de danse.

J’ai intégré le Conservatoire de Nice et j’y suis restée quatre ans. Je n’avais jamais fait de danse de ma vie mais la directrice de l’école a vu en moi un certain potentiel et j’ai rejoint le Conservatoire en horaires aménagés. J’avais école jusqu’à 13h puis de 14h à 18h des cours de danse, du lundi au vendredi. A l’âge de douze ans, mes parents ont déménagé à Marseille et j’ai intégré l’Ecole Nationale Supérieure de Danse sous la direction de Marie-Claude Pietragalla.

J’y ai passé trois ans et demi. Mentalement, cela a été très difficile : je me disais que je n’allais jamais y arriver, que c’était trop dur pour moi. J’ai d’ailleurs redoublé ma première année car je devais me perfectionner techniquement. C’est ce que j’ai fait et cela a payé puisque je suis arrivée première de ma division. J’ai su alors qu’il fallait que j’intègre une plus grande école si je voulais vraiment que ça marche.

« A 14 ANS ET DEMI, JE SUIS PARTIE EN RUSSIE »

J’ai alors eu l’occasion de rejoindre soit la New York City Ballet School à New York, soit l’école de danse classique du Bolshoï Ballet Academy à Moscou. J’avais reçu une bourse de la Russie donc j’ai choisi cette option car c’était moins cher pour mes parents. A 14 ans et demi, je suis donc partie direction la Russie où je suis restée jusqu’à mes 18 ans. Mentalement, cela a été très dur : je ne voyais pas mes parents plus d’une fois par an, seulement quand je rentrais pendant les grandes vacances. Il faisait très froid et les professeurs ne parlaient que russe. Quand ils me corrigeaient, je ne comprenais pas donc je prenais la porte, c’était l’armée ! A l’internat, il y avait des rats, c’était horrible. Puis j’ai commencé à apprendre la langue. Une professeur en particulier m’aidait beaucoup - peut-être à cause de ma différence – et m’a donné des cours particulier de russe : j’ai enfin pu communiquer. Je me suis fait des amies à vie, on essaye de se voir une fois par an car chacune travaille dans une compagnie différente désormais !

De toute façon, en Russie, je n’avais pas le temps de me morfondre car nous faisions toute la journée de la danse de manière intensive. J’ai été la première élève française noire à être acceptée au Bolshoï, mais pour moi cela ne changeait pas grand-chose car à Nice et à Marseille, sur 200 élèves, j’étais déjà la seule jeune étudiante de couleur noire. Comment l’expliquer ? Je pense que dans la culture classique, que ce soit la danse, la musique, les opéras ou les orchestres, on trouve peu de gens de couleur noire. A mon sens, je ne pense pas qu’il s’agisse de racisme mais plus d’une question d’éducation et de centres d’intérêt. Je suis née de parents d'origine franco-algérienne et capverdienne et la danse classique ne faisait pas vraiment partie de notre culture. Le fait que ma mère m’ait offert un billet pour voir « Le Lac des Cygnes » m’a initiée. Beaucoup sont intrigués de voir une jeune danseuse classique noire dans le corps de ballet, et les quelques interviews que j'ai données m'ont laissé l'étrange sentiment que le sujet de la xénophobie ou du racisme représentait un problème difficilement surmontable dans ce milieu. A vrai dire, cette question ne m'a jamais empêchée d'être la personne que je souhaitais. Bien qu'étant un milieu élitiste, la danse classique a connu de profonds changements et n'est pas aussi traditionaliste que la société peut le percevoir. Preuve en est que, malgré de modestes origines - je suis née d'un père ouvrier et d'une mère auxiliaire de vie - j'ai pu surmonter, non sans peine, les obstacles et réaliser mon rêve.

S’il n’y a pas assez de danseurs noirs, c’est pour moi plutôt un problème de classe sociale, une question de centre d’intérêt et d’éducation. Rappelons que le milieu de la danse classique ne reste accessible qu’à une élite. Aller à l’Opéra a un coût, les meilleures places peuvent atteindre 150 euros, ce qui est énorme quand on a envie d’y emmener sa famille. Mes amies qui font de la danse classique sont toutes issues d’un milieu assez aisé, ce qui n’est pas du tout mon cas. Mais ma mère m’a toujours soutenue, elle a cumulé les ménages le soir pour payer mon école et mes accessoires.

« DES PETITS JOBS POUR PAYER MES AUDITIONS »

Une fois mon diplôme en poche, je suis retournée à Nice, avant de rejoindre Paris. J’ai travaillé chez Quick et j’étais également hôtesse d’accueil dans un cabinet d’avocats pour payer mon loyer et faire des économies pour passer mes auditions. Quand on est étudiante dans une école de danse, le but c’est d’intégrer par la suite la compagnie. Mais je ne souhaitais pas rester en Russie donc je devais auditionner. Et cela nécessite vraiment un gros budget. Il faut prendre des avions, aller à l’hôtel, manger sur place, et après les auditions, les directeurs ne donnent pas les réponses tout de suite donc il faut vraiment s’organiser et enchaîner plusieurs voyages à la suite, ce qui coûte énormément d’argent. Comment fonctionne une audition ? Avant d’y participer, il faut envoyer sa vidéo et seulement si on est sélectionnée, on peut se déplacer. On fait alors un cours de danse classique et éliminatoire et puis la plupart du temps, un morceau du répertoire de la compagnie. A Paris, j’ai eu beaucoup de chance car je suis tombée sur des professeurs de danse qui m’ont donné des cours gratuitement pendant un an, donc je payais juste mon loyer et j’économisais pour mes auditions. Mais je suis rentrée dans un cercle vicieux car à chaque fois que je demandais à m’absenter, ça ne plaisait pas à mes employeurs… A ce moment, le Béjart Ballet est venu en France. J’ai pris des cours avec eux et j’ai tout de suite eu le job. J’y suis restée trois ans, mais j’avais envie d’avancer dans ma carrière.

« LE MESSAGE QUE J’AIMERAIS FAIRE PASSER ? IL FAUT CROIRE EN SES RÊVES. »

Je suis allée auditionner au Staatsballett de Berlin en janvier 2018. Nous étions à peu près 200, il y avait une étape classique puis une étape contemporaine. Trois mois après, en avril 2018, ils m’ont donné la réponse : j’étais acceptée. J’étais si heureuse ! J’ai débuté mon contrat en août. Je suis encore la seule danseuse métissée dans cette compagnie mais j’ai l’impression que les choses bougent : mon frère est danseur à l’Opéra de Paris ! Mais cela n’a pas toujours été facile à la maison, mon père qui a émigré en France pour avoir une meilleure vie pensait vraiment qu’il fallait passer par les études plutôt que par la danse classique pour réussir. Le message que j’aimerais faire passer ? Il faut croire en ses rêves. Tout le monde ne peut être danseur classique mais la danse est faite pour tout le monde, quelles que soient votre classe sociale, vos origines ou votre religion. Nous sommes jugés pour notre talent et pas autre chose. Mon rêve aujourd’hui ? Continuer ainsi et danser certaines pièces de chorégraphes américains connus comme Forsythe, Cristal Pite ou David Dawson. Il y a tellement de ballets que j’aimerais danser ! Je vais aussi intégrer une association appelée « The What Dance Can Do Project ». L’idée ? Financer des programmes et des spectacles de danse pour les enfants et les jeunes adultes rendus vulnérables par la maladie ou l'extrême pauvreté. Cet été, je vais donner des cours de danse au Kenya dans un orphelinat, situé dans un bidonville de Nairobi. Je suis très fière de ce projet, j'espère transmettre un peu de joie et d'espoir à ces enfants. »

Source : Elle