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Aimer ses enfants, oui, mais pas trop

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Vendredi, 2 février 2018

Aimer ses enfants, oui, mais pas trop

PSYCHOLOGIES- L’amour a bon dos ! En son nom, on étouffe, on assujettit, on maltraite et, quelquefois, on tue, s’insurge la psychanalyste. Alors méfiance…

L’amour parental est une des dernières valeurs qui reste au hit-parade de notre société moderne. Le statut même des enfants a changé. Considérés comme des adultes miniatures, ils sont au centre de nos préoccupations et de nos campagnes publicitaires.

Nous sommes attendris, émus par eux. Les aimer semble être un placement plus sûr pour l’avenir que n’importe quelle opération bancaire. Mais quel intérêt espérons-nous en tirer ? Pourquoi aimons-nous ces enfants ? Pour eux ou pour nous ?

L’amour n’est pas tout

Il peut même, parfois, être dangereux. Car au nom de l’amour, tout est possible : étouffer, assujettir, maltraiter et, quelquefois, tuer. Le crime passionnel ne reste-t-il pas le seul à trouver quelque indulgence auprès des juges ? « Je l’aimais tant, Messieurs les jurés, je n’ai pas supporté qu’il m’échappe. » Aimer n’est pas posséder ou anéantir, c’est être capable de se priver de l’enfant, de le perdre, et, depuis le Jugement de Salomon, nous savons bien que ce n’est pas chose facile.

Il ne suffit pas d’aimer un enfant pour en faire un être autonome, sexué et indépendant. Tout dépendra de la façon dont on l’aime et du registre où s’inscrit cet amour.

Je me souviens de ce père qui disait en consultation : « J’aime ma fille plus que tout au monde. Elle va avoir 14 ans, je ne veux pas que n’importe quel garçon lui fasse l’amour sans l’aimer vraiment. Il va la détruire. Moi seul l’aime suffisamment pour faire d’elle une femme épanouie, qui saura ce que la sexualité veut dire. »

Ce père n’aimait pas sa fille au point de se priver d’elle, au point de la donner à un autre homme. Et pourtant l’authenticité de son amour pour elle ne pouvait être mise en cause.

Aimer nos enfants pour qu’ils nous appartiennent et que personne, à part nous, ne puisse les rendre heureux provoque des ravages. L’amour des parents, s’il n’est pas altruiste et désintéressé, ne permet pas à l’enfant de grandir dans la dignité et le respect de lui-même. « Je t’ai tant aimé » ne doit pas sous-entendre « Tu me dois tout ». « Je t’ai aimé au point de pouvoir me priver de toi, je t’aime pour toi et pas pour moi », voilà ce que les enfants qui grandissent ont besoin d’entendre.

L’amour peut être un piège terrible si l’enfant s’en sent prisonnier

Par amour pour l’enfant, on peut l’assigner à une place qui l’empêche de se construire. Il peut, par exemple, devenir le consolateur de son père ou de sa mère qui l’aime tant et qui lui demande de venir réparer ses blessures (lors de séparations ou de divorces, nous rencontrons ces enfants qui se précipitent pour être les thérapeutes de leurs parents).

Il peut devenir aussi, même si les parents vivent en couple, le seul objet de jouissance de celle ou de celui qui ne désire pas ailleurs.

Par amour pour l’enfant, on peut en faire un objet de remplacement, une béquille. On peut lui donner une fonction qu’il se sent obligé de remplir. Comment se dégager en effet des adultes les plus précieux pour lui, lorsqu’ils témoignent de tant d’amour ?

Nous n’aimons vraiment que dans le renoncement. Alors méfions-nous de l’amour qui nous comble et ferait de nos enfants des fétiches.

Catherine Mathelin