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Afrique : César, la diversité à l’honneur

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Dimanche, 14 mars 2021

Afrique : César, la diversité à l’honneur

Jean-Pascal Zadi et Fathia Youssouf ont été sacrés meilleurs jeunes espoirs, et Sami Bouajila a décroché le césar du meilleur acteur.
Est-ce la fin de l'entre-soi et le début d'une plus grande reconnaissance de l'apport de la diversité dans le cinéma ? La question mérite d'être posée alors que la place des acteurs noirs avait été soulevée, notamment, par Aïssa Maïga, actrice française d'origine sénégalo-malienne mais aussi une des autrices de l'ouvrage Noir n'est pas mon métier. Quoi qu'il en soit, les César, dont la 46e cérémonie a eu lieu vendredi soir à l'Olympia avec un protocole sanitaire strict, sous la présidence de l'acteur franco-marocain Roschdy Zem, semblent passer à l'action.

Jean-Pascal Zadi et Fathia Youssouf meilleurs espoirs

Principaux acteurs de Tout simplement noir, une comédie contre les clichés racistes, et de Mignonnes de Maïmouna Doucouré, un film sur l'adolescence à Paris, entre traditions, culture parisienne et réseaux sociaux, Jean-Pascal Zadi et Fathia Youssouf ont été sacrés meilleurs espoirs.

Jean-Pascal Zadi, meilleur espoir masculin, est aussi l'auteur et réalisateur, avec John Wax, de Tout simplement noir. Cet ovni cinématographique, qui, selon lui, parle « avant tout d'humanité », a cartonné sur les écrans entre les deux confinements. « Chaque génération doit trouver sa mission, l'accomplir ou la trahir », a déclaré Jean-Pascal Zadi en recevant son prix, citant le penseur du post-colonialisme Frantz Fanon.

Fathia Youssouf, meilleur espoir féminin, couronnée à seulement 14 ans, est la figure principale de Mignonnes, le film de Maïmouna Doucouré déjà remarqué et distingué tout au long de son parcours.

Sami Bouajila, meilleur acteur

Sami Bouajila, récompensé vendredi du césar du meilleur acteur pour son rôle de père déchiré dans Un fils, a réussi à sortir des rôles de « beur » grâce au cinéma d'auteur. « J'ai souvent l'impression que les rôles nous choisissent, plus qu'on les choisit », a déclaré l'acteur en recevant son prix des mains de Fanny Ardant. Avec une série de rôles d'envergure depuis trente ans, il a gagné la reconnaissance de ses pairs : prix d'interprétation à Cannes pour Indigènes de Rachid Bouchareb (2006), césar du meilleur second rôle pour Les Témoins d'André Téchiné (2007), et dernièrement une nouvelle distinction comme meilleur acteur dans une sélection de la Mostra de Venise pour Un fils. « Je ne me suis jamais senti dans la peau du beur de service. Ce sont des rôles qui font partie de moi. J'ai mis vingt ans à me défaire de toute étiquette, ce n'est pas pour en revendiquer une aujourd'hui », confiait-il à l'AFP en 2011 pour la sortie d'Omar m'a tuer. « Je me défends de devenir le porte-parole d'une communauté : je suis d'abord un acteur. »

 

Bouajila : un parcours pas toujours évident

Né le 12 mai 1966 à Grenoble de parents immigrés tunisiens, le jeune Sami découvre le cinéma grâce son père. Ce peintre en bâtiment emmenait ses deux fils, « en costume qui gratte », découvrir les westerns américains, les Bruce Lee. Après un sport-étude natation, dont il tire sa musculature longue et svelte, Sami Bouajila passe un CAP de tourneur sans conviction. Il sera objecteur de conscience à Grenoble. Puis finit par trouver sa voie au théâtre, « un peu par hasard ».

« Sur le plateau, je savais que j'étais à ma place, que c'était un endroit où il fallait s'exprimer, se construire, grandir, se décloisonner, se décomplexer. C'est par le théâtre que j'ai ressenti ça le plus fort », confiait-il aux Inrocks. Il intègre le Conservatoire de Grenoble puis la Comédie de Saint-Étienne, un des premiers Centres dramatiques nationaux où il est en cheville avec des professionnels. Il apprend Shakespeare, Marivaux et Koltès.

Contacté par un agent à Paris, il décroche son premier rôle en 1991 et devient le banlieusard débrouillard de La Thune de Philippe Galland. À Paris, il est malheureux et affirme souffrir du délit de faciès tandis que ses copains percent. « La caméra est radicale, elle filme tout. Si vous véhiculez de la frustration, de l'aigreur, ça ressort », expliquait-il à TéléramaBye-Bye (1995) de Karim Dridi lui ouvre des portes. Il tente une embardée hollywoodienne dans Couvre-feu (1998) d'Edward Zwick avec Denzel Washington où il campe… un terroriste palestinien. « C'était génial de participer à une production hollywoodienne mais c'était une parenthèse. Pour la prolonger, il aurait fallu se cogner moult clichés. J'en étais incapable », avouait-il à Télérama.

Bouajila : de belles rencontres pour ouvrir l'horizon

Il fait ensuite de belles rencontres : Arnaud Desplechin (Léo, en jouant « Dans la compagnie des hommes »), Abdellatif Kechiche (La Faute à Voltaire), Olivier Ducastel et Jacques Martineau qui lui offrent son premier rôle d'homosexuel solaire à la recherche du père dans Drôle de Félix. Et surtout André Téchiné avec Les Témoins. Il joue Mehdi, un personnage complexe qui tente l'aventure homosexuelle en pleine irruption du sida. Progressivement, tout est devenu plus évident pour ce père de deux enfants. « J'ai eu l'impression dans ce qu'on me proposait de ne plus être limité à mes origines, j'ai pu interpréter des rôles comme ceux d'Indigènes ou d'Omar m'a tuer, en me concentrant vraiment sur la psychologie des personnages. » « Sami est vraiment un acteur exceptionnel », saluait son ami Roschdy Zem qui l'a dirigé dans Omar m'a tuer. « Il y a son talent et aussi cette féminité qu'il assume complètement. »

Pour les César, institution phare du cinéma français longtemps minée par les accusations d'entre-soi et d'opacité, ce qui avait fini de lui faire faire naufrage l'an dernier lors du couronnement de Roman Polanski, ces distinctions de Jean-Pascal Zadi, Fathia Youssouf et Sami Bouajila ouvrent-elles une nouvelle ère au-delà du symbolique ?

Le Point Afrique