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3e Mandat : Maitre Meité répond au ministre Bléou

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Samedi, 15 août 2020

3e Mandat : Maitre Meité répond au ministre Bléou

le débat n'est pas clos avec la dernière sortie du professeur Bléou Martin

Dans une publication en date du 14 août 2020, le professeur Bléou Martin a cru devoir ressortir du bois pour apporter une réplique aux juristes qui, contrairement à sa précédente déclaration, ont soutenu que le président Ouattara pouvait bel et bien faire un 3ème mandat au regard de la nouvelle constitution.

Faisant partie de ceux (des juristes) qui soutiennent cette position exprimée publiquement dans une tribune le 25 juin 2020, je me sens dans l'obligation de répondre humblement aux dernières déclarations du professeur Bléou Martin. J'ai décidé de répondre par la présente tout simplement, parce que le professeur Bléou me semble pas avoir été convainquant dans ses dernières écritures. Bien au contraire, cette dernière sortie de ce constitutionnaliste me renforce dans l'idée que le président Ouattara est bien éligible pour un 3ème mandat.

On pourrait être d'autant moins convaincu par les moyens de droit soulevés par le professeur Bléou qui, selon certains cloreraient le débat, parce que c'est le même Bléou qui faisait observer en 2016 le fait qu'il pourrait y avoir d'autres interprétations possibles sur la question de la limitation de mandat du président actuel. Il sous-entendait clairement que d'autres arguments de droit existent pour démontrer l'éligibilité de Ouattara à un 3ème mandat.

Ainsi, dans la présente publication, je reviendrai dans un premier temps sur cette déclaration faite par Bléou Martin en 2016 (I) , avant de soulever encore une fois de plus, les moyens de droit et de fait susceptibles de démontrer la légalité constitutionnelle d'un 3ème mandat du président actuel (II).

I) Sur les déclarations de Bléou Martin en 2016 disant qu'une autre interprétation était possible

Dans le courant de l'année 2016, le professeur Bléou Martin à fait des observations au groupe d’experts chargé de rédiger l’actuelle Constitution. Lesquelles observations étaient justement relatives aux conditions d'éligibilité à la présidence plus précisément à la condition de limitation de mandat.

Mais pour les besoins de la cause, notre brillant constitutionnaliste prend soin de passer sous le silence le plus parfait, une partie de ses propres observations relativement à une interprétation possible de la constitution qui pourrait justifier l'éligibilité du président actuel pour un 3ème mandat.

Or les propos peuvent s'envoler, mais les écrits laissent toujours des traces. Voilà transcrit ci-dessous les écrits de Martin Bléou en 2016:

« Il est heureux que, tenant compte des exigences de l’Etat de droit, de la démocratie et de la bonne gouvernance, le texte reconduise le principe en vertu duquel le Président de la République « n’est rééligible qu’une seule fois » (article 35 alinéa 1er). Ce principe était déjà affirmé par la Constitution du 1er août 2000. Ce qui amène à constater qu’il n’est pas nouveau et que le passage de la Constitution du 1er août 2000 à celle de 2016 traduit la permanence et la continuité de ce principe, qui conduise à entendre cette disposition comme s’appliquant aux situations antérieures.

Toutefois, une autre interprétation est possible. C’est pourquoi il s’impose, pour lever toute équivoque, de prévoir dans les dispositions finales, que le principe selon lequel le Président de la République n’est rééligible qu’une fois s’applique aux situations nées sous l’empire de la Constitution du 1er août 2000 ».

Mon commentaire :

De ces déclarations de Bléou Martin tenues en 2016, il ressort clairement qu'une autre interprétation est possible. Si lui-même le grand constitutionnaliste avait reconnu à l'époque qu'une toute autre interprétation était possible, pourquoi alors, il voudrait absolument faire passer aujourd'hui sa seule interprétation, comme étant la seule vérité juridique possible ? Pourquoi veut-il faire passer les autres juristes qui n'ont pas la même interprétation que lui, pour des imbéciles ?

Le professeur Bléou Martin à-il déjà oublié que dans sa même déclaration de 2016, il suggèrait ceci : << C'est pourquoi il s’impose, pour lever toute équivoque, de prévoir dans les dispositions finales, que le principe selon lequel le Président de la République n’est rééligible qu’une fois s’applique aux situations nées sous l’empire de la Constitution du 1er août 2000 ».

Or la nouvelle constitution de 2016 n'a nullement levée cette équivoque en indiquant clairement dans ses dispositions transitoires que le principe de limitation de mandat inscrit dans l'article 55 de la constitution s'appliquerait aux deux mandats déjà effectués par le président actuel. Une telle disposition précisant cet état de fait est désespérément introuvable dans la constitution.

Pourquoi alors vouloir absolument appliquer au président de la République actuel une disposition qui n'existe nulle part dans la constitution ?

Au surplus, il a été démontré que l'article 183 de la constitution à laquelle s'accroche désespérément certains pour créer une continuité juridique est inopérant pour s'appliquer en la matière. Laquelle disposition ne concerne que les dispositions infra-constitutionnelles (lois, ordonnances, décrets, arrêtés, circulaires...).

Bléou Martin le sait très bien au point qu'il n'en a plus parlé dans ses dernières ecritures.

En outre, le professeur feint ne pas savoir que sauf disposition expresse, une ancienne constitution abrogée et une nouvelle constitution ne peuvent s'appliquer à la fois aux mêmes faits. Et que, la nouvelle constitution est d'une application immédiate à partir de sa promulgation le 08 novembre 2016. En raison de cette application immédiate prévue par l'article 184 de la constitution, la limitation de mandat prévu par son article 55 ne commence à compter qu'a partir de sa date de promulgation et non pour les mandats déjà effectués dans le passé sous l'empire de l'ancienne constitution abrogée.

Au regard de ce qui précéde, le président Ouattara est bel et bien éligible pour un 3ème mandat si on décide d'emprunté cette toute autre interprétation que le professeur Bléou Martin avait évoquée en 2016.

Il) La possibilité du 3ème mandat au regard de la nouvelle constitution de 2016 donnant naissance à une nouvelle république et au nom du principe de la non-rétroactivité de la loi

Bléou Martin ne peut faire semblant d'ignorer que dans la pratique du droit constitutionnel, l'adoption de toute nouvelle constitution débouche (si le titulaire du pouvoir constituant le désire) sur l'avènement d'un nouveau régime et aussi sur nouvelle république. Comme c'est le cas avec l'adoption de la constitution de 2016 qui a donné naissance à la 3ème république sous laquelle nous sommes régis.

Bléou Martin sait très bien que, toute nouvelle constitution a pour but de faire disparaître définitivement l'ordre institutionnel et juridique préalablement créé par la défunte constitution de sorte à en créer un nouvel ordre débarrassé de toutes les scories du passé. Ainsi, la nouvelle constitution consacre donc une rupture juridique totale entre un ordre ancien et un ordre nouveau.

En l'espèce, il va donc de soi que les deux mandats effectués par le président Ouattara sous l'empire de l'ancienne constitution de 2000, ne peuvent être placés dans le champ d'application de la nouvelle constitution de 2016. Sauf si une continuité juridique sur cet état de fait avait été expressément prévue dans les dispositions transitoires de la nouvelle constitution.

Or malgré les observations faites à l'époque par le professeur Bléou Martin évoquées plus haut, la nouvelle constitution n'a nulle part mentionnée que les mandats déjà effectués par le président Ouattara sous la défunte constitution de 2000 restent fixés dans le cadre de la 2ème république devraient être pris en compte dans le décompte référenciel de la limitation de mandat prévue par l'article 55 de constitution de 2016 régissant la 3ème république.

Faute de n'avoir pas été précisé dans la constitution comme l'avait recommandé le professeur Bléou Martin, le décompte référenciel de la présente disposition sur la limitation de mandat ne commence qu'à partir du 1er mandat de la 3ème république, donc à partir des élections présidentielles d'octobre 2020.

Je rappelle que dans une espèce parfaitement similaire au cas d'espèce de la Côte d'Ivoire, le conseil constitutionnel du Sénégal à propos de la requête contre la candidature d'Aboudoulaye Wade pour un 3ème mandat en 2012 a clairement jugé que cette limitation de mandat sauf mention expresse, ne peut concerner, sans incohérence, les mandats placés hors du champ d'appréciation de la nouvelle constitution en vigueur, à partir du moment où ceux-ci ont été exécutés sous l'empire de l'ancienne constitution sénégalaise abrogée.

On se retrouve exactement dans la même configuration en Côte d'Ivoire. Il ne sera donc pas illogique que le conseil constitutionnel s'inspire de cette jurisprudence de son homologue sénégalais pour l'appliquer au cas d'espèce de Ouattara.

En somme, au regard de la nouvelle constitution, de la jurisprudence sénégalaise, de lui-même ses propres déclarations, reconnaissant une autre interprétation possible, le professeur Bléou Martin ne peut sérieusement penser que c'est seule interprétation qui fasse foi. Cela d'autant moins que son interprétation d'aujourd'hui, contrairement à ses observations de 2016, est manifestement plus politique que juridique. En outre, belles furent-elles, les opinions de Bléou Martin n'ont aucune valeur juridique et elles ne sauraient se substituer à la décision qui sera rendue par le juge constitutionnel.

Le sursaut du Samouraï ayant été encore vain, il ne peut plus être contesté que le président actuel ne puisse pas être candidat pour un 3ème mandat à l'issue de laquelle s'il venait à être élu, il entamera ainsi son premier mandat de la 3ème république.

Ouattara est candidat, rien n'empêchant juridiquement sa candidature, préparez-vous à le battre dans les urnes, plutôt que de mettre en avant des arguties juridiques pour lui dénier le droit de solliciter le suffrage du peuple souverain de Côte d'Ivoire.

Maître Youssouf MEITE,
Docteur en droit public
Avocat au Barreau de Paris