APRNEWS: Le président Faye a-t-il changé le Sénégal ?

APRNEWS: Le président Faye a-t-il changé le Sénégal ?

À l’approche des élections législatives du 17 novembre, les politologues et les chefs d’entreprise se demandent si le président Faye se révèle aussi radical que prévu.

Conformément à leurs promesses électorales, le président Bassirou Diomaye Faye et le Premier ministre Ousmane Sonko ont, très tôt, annoncé leur intention de renégocier les contrats d’exploitation des ressources naturelles. Des inspections organisées dans chaque ministère ont obligé les ministres sortants de rendre compte de leur gestion. Le gouvernement a également suspendu la construction sur le littoral près de Dakar, le temps d’examiner de plus près les lois qui sous-tendent les plans de construction dans les zones « sensibles ».

L’absence de politique explicitement anti-occidentale, jusqu’à présent, est un choix délibéré du nouveau Président. Malgré sa rhétorique préélectorale, il semble reconnaître la valeur des investissements étrangers.

D’autres actions symboliques ont suivi. En mai, le président Faye a refusé une fête de bienvenue à son retour d’un voyage en Côte d’Ivoire, expliquant que de telles activités étaient une perte de temps et de ressources. Le gouvernement a également publié les rapports des cours des comptes et de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption, ainsi que l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives, qui avaient tous été tenus secrets sous la présidence de Macky Sall.

La lutte contre la corruption a été érigée en priorité : les membres du gouvernement ont eu un mois pour démissionner de leurs autres fonctions électives, ce qui a incité Ousmane Sonko à quitter son poste de maire de Ziguinchor. La fonction publique, languissante, lente et inefficace, s’impose des horaires de travail plus stricts.

Afin de réduire rapidement le coût de la vie, une préoccupation majeure pour de nombreux Sénégalais, le gouvernement a réduit le prix des produits de base, notamment le pain, l’huile de palme et le sucre. Trop, trop vite ?

Ces mesures ont tiré la sonnette d’alarme dans certaines institutions financières. Le FMI a publié un rapport en septembre, faisant état d’un ralentissement économique et d’une croissance au premier trimestre inférieure aux prévisions (2,3 %).

L’« activité économique s’est affaiblie au premier semestre 2024 et les perspectives restent difficiles pour le reste de l’année. La situation budgétaire devrait se détériorer en raison de la baisse des recettes et de l’augmentation des dépenses liées aux subventions énergétiques et aux paiements d’intérêts », prévenait le FMI.

Les groupes d’investisseurs ont exprimé leurs inquiétudes. « Le rapport du FMI a tout à fait raison, l’environnement d’investissement s’est ralenti », déclare la Chambre de commerce européenne. « Nous n’avons vu aucun nouveau projet depuis l’élection, et la situation a empiré depuis l’été… Nous sommes préoccupés par le fait que le gouvernement n’a pas de plan. » Avis partagé par un entrepreneur de Dakar : « Le nouveau gouvernement n’a eu aucun impact positif sur les affaires ou les investissements au Sénégal. Depuis son arrivée, il s’est contenté de brandir la menace de sanctions à l’encontre des personnes et des entreprises qui ne paient pas leurs impôts, ce qui est tout à fait normal, mais dans un pays comme le Sénégal, il existe des moyens plus subtils d’y parvenir. »

L’entrepreneur craint que l’approche du gouvernement ait des conséquences négatives à plus long terme : « Beaucoup d’entreprises vont partir et cela va laisser beaucoup de gens sans travail et beaucoup de choses ne fonctionneront plus parce qu’ils déploient un discours qui n’est pas celui de la collaboration mais de la répression. »

Toutefois, tout le monde ne partage pas cet avis ; certains suggèrent que peu de choses ont fondamentalement changé depuis que le président Faye a pris ses fonctions : son aboiement, selon eux, est bien pire que sa morsure. « Il n’y a eu que peu ou pas de changements observables dans l’approche du gouvernement vis-à-vis des intérêts commerciaux et des investissements occidentaux », résume Byron Cabrol, analyste principal pour l’Afrique au sein du cabinet de conseil politique Dragonfly Intelligence.

Le président Faye a fait campagne à plusieurs reprises en faveur d’une « plus grande souveraineté » et a appelé à un réexamen des partenariats existants avec les pays occidentaux, « mais il semble avoir modéré sa rhétorique depuis son entrée en fonction ».

En effet, malgré certaines inquiétudes persistantes, à bien des égards, les choses se sont déroulées comme d’habitude. La renégociation des contrats d’extraction prévue par le gouvernement a été réduite à un examen des contrats visant à garantir le respect de la législation par les entreprises.

La commission qui a été créée pour examiner les contrats est généralement approuvée par les entreprises. Elle est importante mais ne semble pas particulièrement menaçante pour l’industrie pétrolière et gazière naissante et stratégiquement importante, qui devrait porter la croissance du Sénégal à environ 10 % en 2025.

 

Contrat annulé

La commission comprend des personnes bien connues et appréciées dans le secteur du pétrole et du gaz, y compris au sein du ministère des finances, qui sont susceptibles d’apporter un point de vue relativement équilibré.

En fin de compte, le gouvernement pourrait envisager de réécrire le Code pétrolier afin d’apaiser ses partisans, à qui il a promis un remaniement du secteur pétrolier et gazier. Mais pour l’instant, il semble que peu de choses soient susceptibles de changer radicalement pour les investisseurs pétroliers. Le gouvernement semble reconnaître l’importance de garder l’industrie de son côté et a rencontré de hauts responsables de compagnies pétrolières et gazières étrangères depuis son élection, bien qu’en privé.

L’approche du gouvernement semble consister à entreprendre des actions stratégiques à petite échelle pour apaiser ses partisans, tout en maintenant des alliances avec la plupart des entreprises. Par exemple, en juillet, le gouvernement a annulé un contrat de 459 milliards de F.CFA (700 millions d’euros) avec Acwa Power pour la construction d’une usine de dessalement.

Cette décision était audacieuse, compte tenu de la taille du contrat, mais étant donné qu’il n’avait été signé que récemment et que la construction n’avait pas commencé, il s’agissait plus d’un geste symbolique que d’un signe d’un mouvement plus large vers l’annulation des contrats. L’approche plus souple du gouvernement à l’égard des entreprises a été notée positivement par de nombreuses entreprises étrangères, selon Byron Cabrol.

Ousmane Sonko
Ousmane Sonko

« Je n’ai pas vu d’indications que les entreprises locales ou internationales modifient de manière significative leurs plans au Sénégal depuis l’élection du président Faye. Le transfert de pouvoir semble plutôt avoir mis fin à une période de volatilité politique provoquée par les tentatives de Macky Sall de retarder le vote et de prolonger son séjour au pouvoir. »

Pour l’instant, la majorité de la population et des milieux d’affaires semble voir d’un bon œil le leadership de Bassirou Diomaye Faye. D’autant que les aspects négatifs de la présidence Sall sont omniprésents dans le nouveau gouvernement, notamment le recours à la répression et les restrictions à la liberté d’expression.

En août, une grève nationale de la presse a été organisée pour protester contre la répression des médias. Deux personnalités de l’opposition ont été condamnées à trois mois de prison pour avoir diffusé des « Fake news » en juin et les magistrats impliqués dans une affaire de viol controversée intentée contre Ousmane Sonko avant son élection ont été marginalisés en étant déplacés dans des régions moins influentes du pays.

 

Un rendez-vous électoral

Les signes de favoritisme politique n’ont pas non plus disparu depuis l’entrée en fonction du nouveau gouvernement. En juillet, la société civile a critiqué la nomination par le Premier ministre de Sophie Nzinga Sy, fille du ministre des Affaires étrangères, au poste de directrice de l’Agence pour la promotion du développement artisanal.

Macky Sall conduira une liste de plusieurs partis opposés au gouvernement Sonko, lors des législatives du 17 novembre.
Macky Sall conduira une liste de plusieurs partis opposés au gouvernement Sonko, lors des législatives du 17 novembre.

 

Le gouvernement n’en est peut-être qu’à ses débuts dans l’exercice de son nouveau pouvoir. De nombreux membres de l’administration sont inexpérimentés et doivent encore passer de l’opposition au gouvernement. L’absence de majorité à l’assemblée nationale a également limité leur capacité à introduire de véritables changements. Cette situation pourrait changer lors des élections législatives de novembre.

Selon Byron Cabrol, « étant donné que Bassirou Diomaye Faye est devenu président en avril et qu’il semble toujours populaire, son parti a de bonnes chances d’obtenir la majorité lors des élections législatives. Cela lui permettrait de faire avancer son programme législatif ».

Cependant, il ne semble pas y avoir de volonté sous-jacente de changer fondamentalement le Sénégal depuis son arrivée au pouvoir. En août, le Président a nommé Aminata Touré en tant que représentante principale. Bien que l’ancienne Première ministre soit brouillée de longue date avec Macky Sall, sa nomination témoigne d’un certain statu quo.

Alors que certaines entreprises et institutions internationales s’inquiètent de l’impact économique du gouvernement, peu de choses semblent avoir fondamentalement changé depuis l’entrée en fonction M. Faye.

L’analyste politique Byron Cabro souligne que « l’absence de politique explicitement anti-occidentale, jusqu’à présent, est un choix délibéré du nouveau Président. Malgré sa rhétorique préélectorale, il semble reconnaître la valeur des investissements étrangers. Et son apparente modération dans l’approche ne semble pas être une réponse à la pression du parlement ou de l’ancien parti au pouvoir ».

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