
APRNEWS: Togo – Des allégations de torture relancent le débat sur la dérive autoritaire du pouvoir
Les autorités togolaises doivent enquêter sur les allégations de torture sur des manifestant·e·s à la suite des manifestations qui ont eu lieu au début du mois, a exigé Amnesty International. L’ONG dénonce des traitements inhumains infligés aux protestataires arrêtés lors des rassemblements des 5 et 6 juin à Lomé, dans un contexte de tensions croissantes autour de la nouvelle constitution.
Cinquante-six personnes ont été libérées le 9 juin, selon les autorités, mais trois manifestant·es sont toujours détenus à la date du 17 juin. Dans des témoignages recueillis par Amnesty International, dix manifestants décrivent des sévices identiques : passages à tabac, coups de cordelettes sur les plantes des pieds, ordres humiliants de « danser sous la pluie » ou de courir pieds nus sur des graviers, parfois sous des jets d’eau froide.
Trois certificats médicaux consultés par l’ONG font état de « contusions des muscles fessiers », un autre de « contusions paravertébrales ». Ces violences auraient été perpétrées pendant la garde à vue à la gendarmerie de Djidjolé, dans la capitale togolaise.
Fabien Offner, chercheur d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest, rappelle que la Cour de justice de la CEDEAO a déjà condamné le Togo « une douzaine de fois » pour des faits similaires et exige « une enquête efficace, assortie de poursuites contre les responsables ».
L’État nie et contre-attaque
Dans une déclaration lue à la télévision le 9 juin, le procureur de la République a évoqué des « individus [qui] par groupuscules ont bruyamment occupé les voies publiques […], orchestrant des vacarmes et érigeant par endroits des barricades », sans autorisation préalable. Le ministère public a qualifié ces actes de « trouble aggravé à l’ordre public », confirmant la libération de 56 personnes tout en précisant que d’autres demeuraient poursuivies.
Dans une déclaration publiée le 6 juin, le gouvernement a averti que toute personne utilisant les réseaux sociaux pour « diffuser des informations dénuées de tout fondement et susceptibles de provoquer des troubles graves à l’ordre public (…) [s’exposaient], sans exception aucune, à la rigueur de la loi ».
L’affaire Aamron, détonateur de la contestation
La mobilisation du 5 juin a été initialement lancée sur TikTok par le rappeur Aamron (Narcisse Tchalla), arrêté dans la nuit du 26 au 27 mai à son domicile. L’artiste avait lancé l’idée d’une manifestation le 6 juin pour célébrer de manière ironique l’anniversaire de Faure Gnassingbé.
Pendant plusieurs jours, ses proches sont restés sans nouvelles. L’artiste a été transféré à l’hôpital psychiatrique de Lomé, selon les révélations de son avocat, Maître Célestin Agbogan. Sans pouvoir recevoir de visite, il y subirait « des injections ».
Le 5 juin, Aamron réapparaissait en vidéo depuis un hôpital psychiatrique, s’excusant d’avoir « outragé » le chef du gouvernement. Dans une déclaration lue sur les réseaux sociaux, l’artiste affirme : « Je reconnais avoir tenu des propos injurieux et outrageux envers Son Excellence Faure Essozimna Gnassingbé ». Son arrestation, perçue comme une intimidation supplémentaire contre les voix dissidentes, a galvanisé la contestation.
Une constitution taillée sur mesure
Au-delà des allégations de torture, les manifestations visaient principalement la constitution d’avril 2024. Ce texte supprime l’élection présidentielle au suffrage universel et transfère l’essentiel du pouvoir exécutif au président du Conseil des ministres – un poste désormais occupé par Faure Gnassingbé, désigné par le Parlement le 3 mai 2025 et rééligible indéfiniment tant que son parti conserve la majorité parlementaire.
Deux partis d’opposition – les Forces démocratiques pour la République et l’Alliance nationale pour le changement – ont qualifié cette manœuvre de « coup d’État constitutionnel » qui pourrait prolonger indéfiniment le règne de Gnassingbé.
L’étau se resserre également sur le champ médiatique. La HAAC a suspendu la diffusion de France 24 et de RFI pour une période de trois mois, accusant les deux médias français de « manquements répétés » aux règles de rigueur journalistique et de diffusion de contenus « inexacts, tendancieux, voire contraires aux faits établis ».
Cette suspension intervient dans un contexte de couverture par RFI et France 24 des manifestations de l’opposition contre la nouvelle constitution.
Un héritage familial de répression
Faure Gnassingbé, au pouvoir depuis 2005, prolonge les 38 ans de règne de son père Gnassingbé Eyadéma. Les grandes manifestations de 2005, 2012 et 2017 avaient déjà été marquées par des bilans humains lourds et des accusations récurrentes de torture.
L’Observatoire rappelle que le poète et cyber-activiste Honoré Sitsopé Sokpor dit Affectio, ayant demandé aux citoyen·nes togolais·es de s’ « indigner », est détenu de manière prolongée depuis cinq mois. Enfin, la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les défenseur·es des droits humains a réclamé sa libération.