APRNEWS : Quels sont les effets des écrans sur la santé ?
Les écrans font partie de nos vies. Difficile d’imaginer s’en passer ne serait-ce qu’une journée ! Pourtant, le temps exponentiel passé sur les écrans inquiète : il nuirait à notre santé, ferait de nous des assistés avec une « mémoire de poisson rouge », et de nos enfants des « crétins digitaux ». Qu’en penser ? Réponses d’experts.
Nous passons de plus en plus de temps de temps sur des écrans, et il est légitime de s’interroger sur les effets que cette habitude peut avoir sur notre santé. Pas de raison toutefois d’être alarmiste car des études montrent aussi leurs bienfaits, y compris pour le cerveau.
Pour nos experts, on ne peut ainsi pas parler des effets « des écrans » de manière générale, car cela dépend de leur usage, de nos vulnérabilités personnelles et de notre équilibre de vie. Avec leurs conseils, on peut développer son « intelligence numérique » pour reprendre le contrôle et utiliser les écrans de manière plus raisonnable et consciente.
Les écrans sollicitent nos yeux
Passer de longues heures sur les écrans fatigue nos yeux, mais les nouvelles technologies aident à suivre et corriger certaines pathologies. Garder les yeux statiques n’est pas physiologique et nuit à la microcirculation des petits vaisseaux. La fatigue oculaire peut se traduire par une sensation de picotements, de brûlure, voire des maux de tête, surtout en fin de journée.
Ils participent à l’épidémie de myopie
Elle pourrait toucher une personne sur deux en 2050 d’après l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Solliciter tout le temps la vision de près augmente la pression sur l’œil des muscles de l’accommodation : cela favorise son allongement, donc la myopie. On passe aussi moins de temps en extérieur, où le champ visuel est plus large. Dre Petra Kunze, ophtalmologue.
4 parades pour protéger ses yeux
- Faire des pauses : 20 secondes toutes les 20 minutes pour regarder au loin. Toutes les heures, faire 2-3 minutes de palming : frotter rapidement les mains l’une contre l’autre puis les placer en coque sur les yeux, tête qui repose dans les coudes posés sur la table, ou l’exercice de l’horloge (imaginer une horloge à 1 mètre devant soi, faire le tour avec les yeux : 12 heures, 13 heures, 14 heures… dans chaque sens) ;
- Forcer à cligner pour qu’ils ne s’assèchent pas : ouvrir et fermer rapidement les paupières (comme pour battre des cils) pendant 30 secondes. Puis les serrer très fort et les rouvrir, 3 fois de suite. Cela permet de bien répartir le fi lm lacrymal sur la surface de la cornée. Si l’inconfort persiste, utiliser du sérum physiologique ou un collyre à base d’acide hyaluronique (Elixya ; Dacryo) et boire beaucoup d’eau ;
- Bien régler ses écrans pour ne pas être éblouis : régler la luminosité et le contraste de l’écran, ainsi que la taille des caractères, pour trouver ce qui est confortable. Éviter d’utiliser les écrans dans le noir ;
- Privilégier les plus grands écrans pour pouvoir s’en éloigner : la télé pour regarder une série, l’ordinateur ou la tablette pour jouer…
Leurs bons côtés
- Faire sa rééducation sur écran motive : certains orthoptistes proposent, entre deux séances, d’effectuer ses exercices grâce à de petits jeux vidéo. En cas d’amblyopie (« œil fainéant »), une étude a montré que jouer à Tetris (avec des lunettes 3D) est efficace pour faire travailler les deux yeux ensemble ;
- Une application pour suivre sa santé visuelle : OdySight (sur prescription) propose des jeux type puzzle à recomposer pour vérifier l’acuité visuelle, la sensibilité aux contrastes, la présence de taches dans le champ de vision… Un vrai progrès, car en cas de DMLA (dégénérescence liée à l’âge), si la vue baisse brutalement, il faut traiter en urgence.
Les écrans interfèrent avec notre sommeil
Stimulants par leur lumière et leur contenu, les appareils électroniques ont un impact sur nos nuits.
- Leur lumière peut retarder l’endormissement : les Leds émettent une lumière bleue que les récepteurs de notre rétine interprètent comme la lumière du jour. Elle bloque la sécrétion de mélatonine, qui accompagne la baisse de luminosité en fi n de journée et envoie au cerveau le signal du sommeil. En théorie, cela risque donc de retarder l’endormissement, même si la sensibilité personnelle et la durée d’exposition pourraient jouer ;
- Ils peuvent être utiles si on se couche trop tôt : « on utilise la lumière des écrans comme traitement pour réduire la somnolence et retarder le sommeil chez les personnes en avance de phase, qui ressentent trop tôt le besoin d’aller se coucher et se réveillent vers 3-4 heures du matin », explique le Dr François Duforez, attaché au Centre du Sommeil et de la Vigilance de l’Hôtel-Dieu de Paris, fondateur de l’European Sleep Center ;
- Certains contenus augmentent notre vigilance : c’est le cas si on a une utilisation active des écrans pour jouer, communiquer, regarder une série… « Le sommeilpeut être perturbé si le cerveau reste en état d’alerte à cause d’informations anxiogènes ou d’un film violent », ajoute le Dr Duforez.
5 conseils pour protéger son sommeil
Il faut dans l’idéal couper les écrans 1 heure 30 à 2 heures avant le coucher et laisser son portable en dehors de la chambre. Voici comment limiter les dommages s’ils font partie du rituel du soir.
- Privilégier la télé : l’effet sur la mélatonine est moindre qu’en regardant une vidéo sur un smartphone près du visage ;
- Activer la fonction « night shift » sur son smartphone et sa tablette dès 19 heures. « La lumière orangée, qui simule le crépuscule, évite de bloquer la sécrétion de mélatonine », assure le Dr Duforez ;
- Choisir des contenus apaisants, qui favorisent le lâcher prise, par exemple une série que l’on connaît par cœur, un documentaire animalier, une appli avec les sons de la nature… ;
- Masquer les Leds des appareils électroniques (ou les débrancher).
Les écrans transforment notre cerveau
On délègue certaines tâches aux outils numériques, mais les écrans ne nous rendent pas plus idiots pour autant.
Ils nous font perdre certaines capacités… et en développer d’autres
« À force de leur déléguer certaines capacités (calcul mental, orientation, écriture…), on peut supposer qu’on les développe un peu moins, mais il est encore trop tôt pour l’affirmer. Certains usages renforcent à l’inverse la flexibilité cognitive, en entraînant le cerveau à de nouvelles tâches », résume Mehdi Khamassi, chercheur en sciences cognitives. Les personnes de plus de 55 ans qui effectuent régulièrement des recherches sur Internet mobilisent par exemple davantage des zones du cerveau contrôlant les processus de décision et de raisonnement complexe.
Ils fragmentent notre attention
Les algorithmes nous poussent à faire défiler les contenus, via différents stimuli (mouvements, vidéos qui se déclenchent toutes seules…). On parle de tunnel attentionnel, explique Sophie Lavault, psychologue et docteur en neurosciences.
Les notifications nous rendent moins efficaces car à chaque fois que l’on s’interrompt, il faut quelques secondes à notre cerveau pour analyser l’info (« Est-ce urgent ou pas ? » ; « qu’en faire ? ») et se reconcentrer sur la tâche d’origine.
« Les études montrent que l’on comprend et retient moins bien un contenu lu sur un écran si notre attention est perturbée par une publicité, un titre ou une vidéo à côté, même sans s’en rendre compte », ajoute Mehdi Khamassi.
Ils renforcent nos opinions
« Les algorithmes s’inspirent de la recherche en sciences cognitives pour exploiter le fonctionnement de notre cerveau », dit Sophie Lavault. Les réseaux sociaux utilisent par exemple le biais de confirmation, en nous soumettant des contenus qui vont dans le sens de ce que l’on pense déjà, au lieu de favoriser un débat constructif.
Ils réorganisent notre mémoire
On a plusieurs types de mémoire, qui impliquent des réseaux différents dans le cerveau. Une étude montre qu’en utilisant le GPS au volant, on entraîne moins notre mémoire spatiale. « On ne s’embête plus à mémoriser certaines choses puisque les ordinateurs et smartphones le font pour nous.
Mais on doit se souvenir de la façon dont on les a stockées et comment les récupérer », souligne Marie-Pierre Fourquet-Courbet, chercheuse en sciences de l’information et de la communication. On perd en « mémoire déclarative » (celle des numéros de téléphone, dates…) mais on gagne en « mémoire transactive » (celle du lieu où trouver l’information).
Les écrans influencent notre moral
Ils peuvent accentuer une sensation de bien-être ou de malaise, mais n’en sont jamais l’unique cause.
Les réseaux sociaux amplifient nos émotions
« Une forte utilisation (plus de 2 heures par jour) est associée à une probabilité plus forte de souffrir de troubles dépressifs, en particulier chez les ados, ou d’anxiété. Mais le lien de cause à effet n’est pas prouvé : c’est peut-être justement parce qu’on ne va pas bien que l’on va sur les réseaux sociaux », précise Marie-Pierre Fourquet-Courbet. Ils ont tendance à accentuer les émotions (négatives ou positives) déjà présentes.
Ils nous laissent insatisfaits
Plus on reste longtemps sur les réseaux sociaux type Facebook (dès 20 minutes d’utilisation), plus notre humeur se détériore. « Lorsqu’on perd une heure à ‘scroller’ (faire défiler un contenu sur l’écran, N.D.L.R.), on peut avoir un sentiment d’inutilité. On a pris notre téléphone pour faire quelque chose de précis et on se retrouve happé. Or, pour être satisfait, il faut aller au bout des objectifs que l’on s’est fixés », indique Sophie Lavault.
Leurs bons côtés
Les réseaux sociaux peuvent doper l’estime de soi. On y soigne sa présentation, on choisit de belles photos, on parle de soi.
Certains contenus remontent le moral. « Quand on est fatigué après une journée de travail, regarder des vidéos amusantes ou jouer à un jeu permet de recharger les batteries si on le fait sur un temps limité », ajoute Marie-Pierre Fourquet-Courbet. « Cela peut servir de protection face à un environnement extérieur menaçant », estime Niels Weber. On trouve du soutien. « Ceux qui découvrent leur homosexualité ou souffrent d’un trouble mental vont se sentir moins seuls grâce à la communauté LGBT ou à un influenceur qui parle de son TDAH », observe Niels Weber. C’est particulièrement vrai face à une maladie.
Les écrans impactent nos relations sociales
Internet et le numérique modifient nos façons d’interagir avec les autres.
Ils renforcent le lien avec nos proches
Le temps passé à communiquer en ligne semble renforcer les liens avec les personnes que l’on côtoie aussi hors ligne (famille, amis, collègues…).
« S’il n’y avait pas les groupes famille sur WhatsApp pour s’envoyer des messages et des photos, on se donnerait sans doute moins de nouvelles », reconnaît Sophie Lavault.
Ils élargissent nos communautés
Internet et réseaux sociaux aident à renforcer les « liens faibles » : connaissances, personnes qui peuvent nous fournir des ressources… « Ils permettent de (re) prendre contact avec des gens qui ont une histoire ou des intérêts en commun avec nous », note Marie-Pierre Fourquet-Courbet. « Cela renforce le sentiment d’appartenance à un groupe, qu’il s’agisse d’une minorité ou non », confirme Niels Weber.
3 clés pour limiter leur impact
- Les utiliser de manière active. Pour envoyer des messages, poster sur les réseaux sociaux, partager un lien ou une vidéo… Éviter de s’y connecter sans raison précise ;
- Choisir ses moments en ligne. La fonction “bien-être numérique” des smartphones permet de délimiter un temps d’utilisation pour certaines applis : cela oblige à s’y connecter de façon réfléchie, pas par réflexe. On peut aussi s’abonner à une newsletter quotidienne ou un podcast hebdomadaire que l’on trouve pertinent pour suivre l’actu ;
- Écouter ses sensations. Observer si l’utilisation des réseaux sociaux suscite de l’anxiété, de la jalousie, de la culpabilité… ou du plaisir, de la fierté… pour garder uniquement les applis et suivre les comptes qui sont sources d’émotions positives.
Ils accentuent la peur d’être exclu
« La peur de manquer quelque chose (FOMO, Fear of missing out en anglais, N.D.L.R.) est aggravée par les réseaux sociaux : en voyant les soirées ou les vacances des autres, on peut avoir l’impression qu’il se passe quelque chose sans nous, surtout si on a une fragilité comme la peur de l’abandon », complète Didier Courbet. On se connecte dès que l’on reçoit une notification pour « participer », par peur de ne plus appartenir au groupe.
Ils peuvent être source de malentendus
« Lorsqu’on communique par écrit, le cerveau n’a pas tous les signaux (intonation de la voix, mimiques, respiration…) pour décrypter le message. Il reconstruit l’information à partir de données incomplètes, en fonction de ce qu’il croit ou craint. Avec plus de mauvaises interprétations que lors d’une discussion en face-à-face ou au téléphone », signale Sophie Lavault.
C’est à double tranchant pour les timides
Il est plus facile de s’exprimer de façon anonyme, caché derrière un écran. « Mais paradoxalement, c’est difficile pour eux de s’imposer et d’interrompre les autres lors d’une réunion en visioconférence. Dans la vraie vie, un échange de regard ou le fait d’ouvrir la bouche pour dire quelque chose font que les autres vont leur donner la parole. Or, ces signes passent souvent inaperçus à distance », nuance Sophie Lavault.
2 conseils pour n’en garder que le meilleur
- Continuer à appeler. Rester en lien par messages ne doit pas empêcher de s’appeler, même en visioconférence. C’est important dès qu’il y a un début de conflit ou d’incompréhension, pour éviter les malentendus ;
- Garder l’équilibre. « Les échanges en ligne doivent venir en complément des échanges réels, pas les remplacer », prévient Marie-Pierre Fourquet-Courbet. Participer aux repas en famille, aux réunions en présentiel au travail, aux sorties avec un club…
Les écrans modifient nos mouvements et nos postures
Les outils numériques ont aussi un impact sur notre corps.
Ils incitent à rester longtemps sans bouger
Or, toute posture prolongée est problématique : pour un corps en bonne santé, il faut des mouvements variés. Ils invitent aussi à répéter de nombreuses fois certains gestes, comme cliquer sur la souris, parfois associés à des douleurs au niveau du coude (type tennis-elbow) ou des poignets (syndrome du canal carpien).
Ils poussent à s’enrouler vers l’avant
Dès que l’on est derrière un écran, on a tendance à enrouler le dos, les épaules, et la tête vers l’avant. « Cela favorise l’écrasement des disques intervertébraux et crée un étirement quasi permanent des muscles du dos, qui peut finir par être douloureux », note le kiné. Même si le poids augmente lorsqu’on penche la tête vers l’avant, les études ne s’accordent pas toutes sur l’existence du « text neck », ces douleurs cervicales liées au smartphone.
Leurs bons côtés
- Ils améliorent l’ergonomie de certains métiers : l’utilisation des écrans et l’autonomisation des tâches ont réduit la pénibilité physique de certains postes. « Les chirurgiens qui opèrent via un écran ou des lunettes 3D ne passent plus des heures la tête penchée vers l’avant », souligne par exemple Xavier Dufour ;
- Les objets connectés peuvent motiver à bouger plus : utiliser une montre connectée ou un tracker d’activité sur son smartphone augmente le nombre de pas quotidiens : autour de 2 000 pas en plus (British Journal of Sport Medicine, 2021).
7 conseils pour reprendre le contrôle
- Soutenir le bas du dos. Utiliser un siège avec un renfort qui épouse la courbure naturelle du bas du dos, ou placer un coussin pour éviter d’enrouler les lombaires ;
- Ajuster la hauteur de l’écran. Le tiers supérieur doit être à l’horizontal du regard, pour maintenir la tête droite ;
- Soutenir ses bras. Poser les avant-bras sur le bureau pour taper à l’ordinateur, et quand c’est possible, les coudes sur la table pour tenir son smartphone à hauteur des yeux ;
- Faire des pauses pour s’étirer. Mains à plat dans le bas du dos, coudes et épaules vers l’arrière et bassin vers l’avant. Faire des « oui/ non » avec la tête, des rotations des épaules et des poignets ;
- Utiliser une souris ergonomique (verticale) pour réduire les contraintes sur les poignets et les muscles des avant-bras ;
- Préférer un ordinateur fixe dès que c’est possible ;
- Utiliser la dictée vocale si on tape beaucoup de mails, SMS…
Aprnews avec Santé Magazine