
APRNEWS: Quatrième mandat du Président de la République – Ce que j’en pense
Le débat sur la possibilité d'un quatrième mandat présidentiel pour M. Alassane Ouattara soulève des questions juridiques complexes. Alors que la Constitution de 2000 limitait strictement le nombre de mandats présidentiels à deux, la Constitution révisée en 2016 a introduit des modifications majeures, telles que la suppression de la limite d'âge pour être candidat et la création d'un parlement bicaméral. Le Conseil constitutionnel ivoirien a jugé en septembre 2020 que le mandat de 2020 était le premier sous la Troisième République, permettant ainsi à M. Ouattara de se présenter pour un troisième mandat de facto, mais un deuxième de droit. L'opposition aurait pu éviter cette situation en insistant sur une clause limitant les mandats présidentiels. En fin de compte, la possibilité d'un quatrième mandat pour M. Ouattara découle davantage d'une lacune dans la législation que d'un abus du droit, soulignant la nécessité pour l'opposition de se préparer stratégiquement pour les élections à venir.
Je suis souvent interpellé sur mon silence concernant la possibilité pour M. Alassane Ouattara de briguer un quatrième mandat présidentiel. Je n’avais pas souhaité me prononcer jusqu’à présent sur ce sujet sensible, tant il est conflictuel et potentiellement clivant. Prendre position sur cette question, c’est, dans le climat actuel, risquer l’animosité d’un camp ou d’un autre. Mais à force d’être interpellé, je prends aujourd’hui la responsabilité de me prononcer.
Alors, M. Ouattara a-t-il juridiquement le droit d’effectuer un quatrième mandat présidentiel ? Je réponds sans détour : non.
Pas plus qu’il n’avait le droit d’effectuer un troisième.
C’est dit. Mais cela suffit-il à clore le débat ? Non. Il faut aller plus loin.
I. Une clarification nécessaire : 3e ou 4e mandat ?
Le cœur du débat réside dans la qualification juridique du mandat entamé en 2020. Est-ce un troisième mandat dans le cadre d’un même ordre constitutionnel, ou le premier mandat dans une nouvelle république, rendant possible, un nouveau « double cycle » ? Poser la question, c’est toucher au nœud gordien de la controverse.
II. Changement de Constitution ou simple révision ?
La distinction entre révision constitutionnelle et adoption d’une nouvelle constitution est fondamentale :
• Une révision, même substantielle, ne remet jamais les compteurs à zéro. Elle maintient la continuité juridique de la république existante.
• À l’inverse, l’adoption d’une nouvelle constitution, dans son esprit et sa lettre, peut fonder une nouvelle république et donc réinitialiser les compteurs institutionnels.
Cette distinction repose sur une jurisprudence bien établie dans le droit comparé. La Cour constitutionnelle du Bénin, par exemple, dans sa décision DCC 06-074 du 8 juillet 2006, a jugé qu’une révision constitutionnelle ne pouvait en aucun cas permettre de remettre les compteurs à zéro, sauf disposition transitoire explicite ou rupture institutionnelle formelle.
En Côte d’Ivoire, la Constitution du 1er août 2000 prévoyait en son article 35 une limitation stricte à deux mandats, et à un âge plafond de 75 ans.
III. 2016 : vers une Troisième République ?
Pour juger de la nature du texte adopté en 2016, analysons deux éléments : l’exposé des motifs, et le contenu même de la nouvelle Constitution.
1. L’exposé des motifs : des mots qui pèsent lourd
On peut y lire ceci :
« Cet avant-projet propose un nouveau pacte social. Il consacrera l’avènement de la Troisième République. »
Deux formules fortes :
• « Nouveau pacte social » : concept emprunté à Jean-Jacques Rousseau, il suppose la refondation de la légitimité politique.
• « Troisième République » : la numérotation républicaine est un acte politique et symbolique majeur. Dans l’histoire constitutionnelle française, par exemple, la transition entre la IIIe et la IVe République (1946) ou entre la IVe et la Ve République (1958) a été permise non par de simples révisions, mais par des ruptures constitutionnelles formelles (souvent par voie référendaire), suivies de l’adoption d’un nouveau texte fondamental.
2. Le contenu de la Constitution de 2016 : rupture ou continuité ?
Modifications majeures introduites :
Au niveau de l’exécutif :
• Suppression de la limite d’âge pour être candidat.
• Création de la fonction de Vice-président.
Au niveau législatif :
• Instauration d’un parlement bicaméral avec l’introduction du Sénat.
Au niveau judiciaire :
• Création d’une Cour de cassation et d’un Conseil d’État, inspirés du modèle dual français.
L’article 184 qui, a priori, s’entrechoque avec l’article 183 n’a malheureusement pas prévu d’instaurer une période transitoire entre l’ancienne et la nouvelle constitution.
Cet article dispose que « la présente Constitution entre en vigueur à compter du jour de sa promulgation par le Président de la République. »
Aucune clause de transition ni disposition interdisant explicitement aux anciens présidents de se représenter. Ce silence est lourd de conséquences. Il ouvre la porte à une relecture extensive du principe de limitation des mandats.
IV. La jurisprudence ivoirienne : une validation politique de la rupture
Dans sa décision de septembre 2020, le Conseil constitutionnel ivoirien a estimé que la Constitution de 2016 ayant été adoptée dans un nouvel ordre constitutionnel, le mandat de 2020 était juridiquement le premier sous la Troisième République. Ainsi, M. Ouattara était éligible pour un second mandat (soit un « troisième » de fait, mais un « deuxième » de droit).
Le raisonnement du Conseil repose implicitement sur une jurisprudence dite de la “tabula rasa”, bien connue dans les pays africains ayant connu de multiples constitutions (Bénin, Sénégal, Togo, etc.). Cette jurisprudence controversée considère qu’un nouveau texte constitutionnel peut effacer les limitations précédentes, à condition qu’il soit adopté selon une procédure de rupture, et sans clause de continuité explicite.
V. Le piège juridique de 2016
En réalité, l’opposition s’est piégée elle-même, en ne prenant pas soin d’exiger l’insertion d’une disposition du type :
« Nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels au cours de sa vie, consécutifs ou non. »
Cette formulation, adoptée par exemple dans l’article 27 de la Constitution du Sénégal de 2016, verrouille toute tentative de contournement.
Or, en Côte d’Ivoire, l’opposition a préféré s’en remettre aux engagements oraux du chef de l’État, ou aux interprétations politiques des partisans du régime, plutôt que d’anticiper les conséquences juridiques d’un texte ambigu.
VI. Conclusion : la politique à l’épreuve du droit
En droit strict, il est aujourd’hui possible (hélas) que M. Ouattara se représente en 2025. Mais cette possibilité résulte moins d’un abus du droit que d’une carence de l’opposition, hormis M. Affi Nguessan, dans l’interprétation du texte de 2016. La Constitution actuelle, bien qu’imparfaite, permet un 4e mandat de droit, même si en fait il s’agit bien du quatrième.
Il ne sert donc plus à rien de pleurer sur le lait renversé. Il faut désormais se préparer, le cas échéant, à battre le Président sortant dans les urnes, non pas par indignation morale, mais par stratégie politique, organisation, union et ancrage populaire.
Jean Kouadio Bonin