
APRNEWS: Pourquoi la critique constructive d’un gouvernement est-elle mal perçue en Afrique ?
La critique positive – même bienveillante – est souvent mal accueillie par les gouvernements africains. Ce phénomène s’explique par des facteurs historiques, politiques et culturels qui façonnent la relation entre l’État et la société civile.
Les régimes post-indépendance en Afrique ont souvent adopté une culture politique autoritaire héritée de l’époque coloniale, caractérisée par des schémas verticalistes et une répression de la critique. Des leaders tels que Houphouët-Boigny, Mobutu et Eyadéma ont instauré un syndrome du « président-père de la nation », où contester le pouvoir est considéré comme une trahison.
De nombreux gouvernements africains confondent critique et opposition, craignant que toute analyse constructive ne soit perçue comme une tentative de déstabilisation. Au Rwanda, même les rapports techniques de la Banque Mondiale peuvent être considérés comme des attaques s’ils mettent en lumière des faiblesses.
Dans les environnements politiquement instables, les dirigeants craignent de perdre leur légitimité, considérant même les critiques objectives comme des menaces. Par exemple, au Sénégal, les économistes qui mettent en garde contre la dette sont accusés de nuire à la confiance des investisseurs, illustrant ainsi l’insécurité des dirigeants face à toute critique potentielle.
Dans les systèmes politiques où les positions sont attribuées en fonction des affiliations plutôt que des compétences, la loyauté prime sur la compétence. Critiquer de manière constructive peut être interprété comme une menace pour les alliés du pouvoir, comme illustré par le cas en République Démocratique du Congo où un ministre risque d’être limogé pour avoir reconnu des erreurs, sous prétexte qu’il aurait renforcé l’opposition.
Les gouvernements ont tendance à se méfier des experts, universitaires et journalistes, les accusant d’être sous influence occidentale. Par exemple, au Burkina Faso, les chercheurs indépendants sont souvent critiqués en tant que « complices des ONG étrangères » lorsqu’ils examinent les lacunes en matière de sécurité.
L’intolérance a des conséquences significatives : elle entraîne une autocensure chez de nombreuses personnes qui craignent des représailles, empêche les gouvernements de bénéficier de diagnostics pertinents et peut mener à une radicalisation de l’opposition, car lorsque les critiques modérées sont réprimées, les contestations deviennent plus violentes.
Certains pays comme le Ghana, le Botswana et l’Île Maurice se distinguent par leur ouverture relative. Au Ghana, les débats économiques sont assez libres sous L’ex Président Nana Akufo-Addo. Le Botswana a une tradition de dialogue entre l’administration et le secteur privé, tandis que l’Île Maurice tolère mieux l’espace critique dans les médias.
Pour améliorer la réception des critiques, il est important de dédramatiser en distinguant les critiques de l’opposition politique. Il est également recommandé de mettre en place des cadres de dialogue tels que des Conseils économiques et sociaux indépendants. En outre, former les dirigeants à la gestion des retours d’information, en s’inspirant éventuellement des modèles asiatiques, est essentiel pour favoriser un environnement propice à l’échange constructif.
En Afrique, la critique constructive est souvent perçue comme un risque plutôt qu’une opportunité d’amélioration, mais des pays comme le Rwanda en tirent des bénéfices. Il est essentiel de ne pas simplement « tolérer » la critique, mais de la considérer comme un outil essentiel de gouvernance pour progresser.
« Chaque personne a son moment, le monde suit son cours. »
Delafosse François -Dominique
Président de Scoop International