A l’observation, l’ensemble des pays subsahariens producteurs de pétrole et de gaz naturel ont vu leurs exportations vers l’Union Européenne progresser, mais à quelle échelle ces recettes peuvent-elles profiter aux économies locales ?

Avant le début, le 24 février 2022, de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, l’Union Européenne dépendait à 40,5 % de la Russie pour ses importations en pétrole et en gaz, pour son alimentation domestique.

Mais « les 27 » ont décidé d’imposer des sanctions à Moscou, pour protester contre son attaque du voisin ukrainien.

Depuis lors, la géopolitique du pétrole et du gaz se redessine, avec des pays comme l’Azerbaijan, Israël, les Etats Unis ou l’Egypte qui sont devenus des partenaires prioritaires des pays de l’UE pour leurs importations en hydrocarbures.

Car, plus de 18 mois après, l’ombre russe plane toujours sur l’Europe qui n’a pas réussi à se défaire de sa dépendance russe, même si la demande des 27 en combustibles russes a actuellement chuté à environ 17% selon la commission de l’UE.

L’UE envisage, selon ses prévisions, de ne plus importer d’hydrocarbures russes d’ici 2027, grâce à son programme REPowerEU.

Ce qui se traduira par la réduction de la consommation locale européenne en énergie, et surtout le recours à d’autres partenaires pour satisfaire la demande.

L’Afrique subsaharienne ne représente qu’environ 3% des importations de l’Union Européenne, mais les recettes croissantes des importations en pétrole et gaz venant du continent pourraient constituer une bouffée d’oxygène et favoriser la relance de la croissance, après les effets néfastes du Covid 19 et du conflit russo-ukrainien.

Sur le terrain, le recours aux combustibles africains se fait déjà ressentir sur les économies de certains pays africains qui produisent du pétrole et le gaz au sud du Sahara.

Afrique centrale, des milliards en plus grâce aux hydrocarbures

Faisant le bilan de ses échanges avec la communauté des Etats de l’Afrique Centrale (CEMAC qui regroupe le Tchad, la Guinée Equatoriale, le Cameroun, le Congo et le Gabon) au premier semestre 2023, la France note une augmentation de ses dépenses d’importations depuis la sous-région, de l’ordre de 54,5 milliards de Francs CFA par rapport à celles de 2022.

Pourcentage de l'augmentation des revenus petroliers.
Légende image, Le Cameroun a connu la plus grande croissance des revenus pétroliers en 2022, malgré la taille de saproduction.

Selon le rapport du trésor français que nous avons pu consulter, la France a importé pour 966 millions d’Euros ( environ 633, 7milliards de Francs CFA) pendant les 6 premiers mois de l’année, contre 828 millions d’Euros ( 553,1 milliards de Francs CFA) au premier semestre de l’année 2022.

Selon ce rapport, le Cameroun a fourni à la France ¾ de ses importations en hydrocarbures dans la sous-région, l’autre ¼, a été partagé par les autres pays de la CEMAC.

Il explique notamment que la hausse des dépenses françaises est portée par l’importation du pétrole brut, du gaz naturel liquéfié (GNL) et de condensat de gaz, qui ont rapporté au Cameroun un total de 463,8 millions d’Euros (environ 304, 2 milliards de Francs CFA) au cours des 6 premiers mois de 2023.

Ces recettes camerounaises durant le premier semestre de l’année en cours sont déjà 108 milliards de FCFA au-dessus des dépenses annuelles en achats d’hydrocarbures françaises au Cameroun en 2022.

Des fonds venant uniquement de la France, sans compter les autres pays de l’Union Européenne, tels que la Belgique, l’Espagne et les Pays-Bas, à qui le Cameroun ne vendait pas son gaz avant le conflit russo-ukrainien, mais qui ont acheté 56 % du GNL du Cameroun, renseigne le ministère camerounais de l’économie.

L’Afrique de l’Ouest tirée par le Nigeria

Le Nigeria a également su tirer profit des sanctions européennes contre la Russie.

Troisième producteur de pétrole du continent, derrière la Libye et l’Angola, selon le dernier classement du portail économique Trading Economics, le Nigeria produit en moyenne 1,081 millions de barils jour en 2022.

Le pays est aussi, de loin avec l’Algérie, le premier producteur du gaz naturel liquéfié, qui lui permet de satisfaire depuis 2020, environ 4 % de la demande européenne.

Revenus pétroliers par pays.
Légende image, Revenus pétroliers par pays.

Mais non seulement cette offre nigériane a été revue à la hausse, le pays ouest africain a presque doublé ses revenus liés aux exportations entre 2020 et 2022, avec une augmentation annuelle de près de 33,7 % en 2022, selon un rapport de la direction française du trésor publié en mai 2023.

Ceci principalement grâce aux hydrocarbures qui représentent 4/5 de ses exportations, ce qui lui a rapporté 49,8 milliards de dollars, à peu près 30 mille milliards de FCFA estime le trésor français, un chiffre relativement élevé, par rapport aux 21 mille milliards annoncés par l’agence nigériane des statistiques.

Ceci s’explique par le fait qu’en juillet dernier, le directeur général adjoint du département de l’énergie de la Commission européenne Matthew Baldwin s’était rendu au Nigeria pour négocier une augmentation des approvisionnements de gaz vers l’UE.

Vue général d'une plateforme pétrolière de Total Elf Fina en Angola

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Légende image, Vue général d’une plateforme pétrolière de Total Elf Fina en Angola

L’Angola explose aussi les compteurs

Luanda a également profité de la situation tendue entre les pays de l’UE et la Russie, surtout que les hydrocarbures représentent environ 95 % de ses exportations l’année dernière.

De manière concrète, le pays a augmenté ses ventes de gaz naturel liquéfié à auteur de 79% en glissement annuel par rapport à 2021. Ce qui lui a rapporté 3900 milliards de Francs CFA en moyenne.

A côté de ses 380 millions de barils qui lui ont apporté quelques 40 milliards de dollars ( environ 24000 milliards en Francs CFA l’année dernière. Les produits pétroliers raffinés quand à eux viennent très loin derrière, avec seulement 447 milliards.

Ces chiffres, si on les met ensemble, ils représentent une augmentation de 49% des ventes de l’Angola à l’extérieur par rapport à 2021.

La raison c’est que, bien que Luanda vende son pétrole principalement en Chine, un pays de l’Union Européenne, notamment l’Italie qui dépendait à 45 % des importations du gaz russe, s’est rapproché des autorités angolaises, sur lesquelles le pays Européen compte reposer désormais, afin de se détourner du chemin russe.

L’Italie, déjà présente au Mozambique grâce à son entreprise Eni, a capté les premiers mètres cubes de GNL produits dans la région de Cabo delgado, qui a une capacité annuelle de 3 millions de tonnes de gaz.

Un espoir pour ce pays de la Sadec, le regroupement des pays d’Afrique Australe, dont fait également partie l’Angola.

Des projets pour consolider l’offre de l’Afrique subsaharienne

Installations de la Sonara dans le sud-ouest du Cameroun

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Légende image, Installations de la Sonara dans le sud-ouest du Cameroun

Ce que l’on sait pour l’heure, c’est que les produits pétroliers, notamment le gaz naturel liquéfié, suscitent des espoirs énormes pour les pays qui en sont producteurs.

Pour le GNL, nécessaires pour le chauffage dans les pays qui connaissent des baisses de températures fortes, 18 pays africains l’exportent ou vont l’exporter dans les prochains mois.

  • Afrique Australe

En commençant par le Mozambique qui a découvert en 2010, l’un des gisements les plus importants au sud du Sahara, qui devrait se chiffrer à quelques 60 millions de tonnes de gaz par an.

Le pays est encore englué dans une guerre contre le djihadisme qui plombe le démarrage de l’activité de production. Des chantiers de construction d’infrastructures d’exploitation offshore lancés par le français Total Energies sont à l’arrêt.

Des accords récemment passés avec l’Italien Eni pour la production de gaz Offshore, à la suite du début des pourparlers entamés au lendemain du déclenchement de la guerre russo-ukrainienne représentent un réel espoir pour le lancement, mi 2024, du deuxième projet d’exploitation de gaz naturel dans le pays.

L’Italie se positionne aussi en Angola. Les autorités des deux pays ont multiplié des rencontres ces derniers mois, avec pour principal objectif d’accroitre la production du GNL angolais.

Déjà présente dans le pays depuis 1980, la société italienne Eni a signé en août 2022, un accord avec la britannique BP. Une joint-venture de 2,5 milliards de dollars sur 7 ans, qui a donné naissance à Azule Energy, le plus grand producteur privé de gaz et de pétrole dans ce pays d’Afrique australe.

La Joint-venture vient retrouver d’autres exploitants déjà présents comme Cabinda Gulf Oil Company, filiale de l’anglais Chevron ou encore le Français Total Energies qui a investi l’année dernière, 850 millions de dollars, (quelques 510 milliards de Francs CFA) pour augmenter sa production en étendant son réseau sous-marin et en le reliant au navire flottant de production, de stockage et de déchargement.

De quoi accroitre la production du deuxième exportateur d’hydrocarbures du continent.

Vue aérienne du champ pétrolier Greater Tortue-Ahmeyim au large de la Mauritanie et du Sénégal

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Légende image, Vue aérienne du champ pétrolier Greater Tortue-Ahmeyim au large de la Mauritanie et du Sénégal
  • Afrique de l’ouest

Dans l’ouest du continent, le Nigeria, concurrent de l’Angola, compte donner un coup de fouet dans sa production en GNL, qui devrait être en majorité destinée à l’Europe selon les autorités nigérianes.

Abuja, après avoir été approché par l’UE en juillet de l’année dernière pour négocier une augmentation de sa production, a réveillé le projet transsaharien dormant depuis 2009.

Il s’agit d’un oléoduc devant livrer le GNL sur le territoire européen. Le projet d’un coût prévisionnel de 10 milliards de dollars et long de 4128 kilomètres doit passer par le Niger et l’Algérie et des mémorandums d’entente ont été signés fin juillet 2023.

Toujours dans l’ouest, il faudra désormais compter sur le Sénégal et la Mauritanie. Les deux pays voisins ont investi 5 milliards de dollars au cours des 5 dernières années, pour développer le champ gazier de Grand Tortue Ahmeyim situé à leur frontière.

Olave Sholz

Il devrait entrer en activité avant la fin de cette année selon la promesse des autorités. D’une capacité de production d’en moyenne 2,5 millions de tonnes par an durant les premières années, le champ devrait atteindre les 10 millions annuel d’ici 2030.

Avant même les premières tonnes, le champ géré par la société britanique BP et l’américaine Kosmos Energy aiguise déjà les convoitises de l’Europe.

En juillet 2022, 5 mois après de début de la guerre frontale entre la Russie et l’Ukraine, Olav Scholz, le chancelier allemand (un pays très dépendant du gaz russe) a fait le déplacement de Dakar au Sénégal, et signifié aux autorités, les ambitions de commercer avec le Sénégal dans ce domaine.

« Je considère l’énergie et le gaz naturel en particulier comme un élément important des futures relations entre l’Europe et l’Afrique », a déclaré M. Scholz en conférence de presse conjointe avec le président sénégalais Macky Sall.

Le président sénégalais Macky Sall et le chancellier allemand Olaf Scholz

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Légende image, Le président sénégalais Macky Sall et le chancellier allemand Olaf Scholz
  • Afrique centrale

La production du Cameroun en GNL de la zone de Hilli Episeyo au large de la ville balnéaire de Kribi devrait se stabiliser cette année à 1,6 millions de tonnes par an selon les prévisions officielles.

Un autre projet d’exploitation d’environ 1,3 millions de tonnes par an à Etindé, près de la ville de Limbé, est en berne.

Le Congo voisin nourrit lui aussi un ambitieux programme. Le sixième producteur du pétrole en Afrique devrait produire 0,6 million de tonnes de GNL avant la fin de cette année, mais devrait booster sa production à quelques trois millions de tonnes deux ans plus tard, avec l’entrée en service prévue en 2025, de Congo LGN.

C’est un projet d’un coût estimatif de près de 400 milliards, dont la première pierre a été posée en mai dernier à Pointe noire. Une partie de ce gaz sera destinée à l’exportation, principalement vers l’Europe selon les autorités.

L'oléoduc nigérian passera par le Niger et l'Algerie pour liver du gaz sur le territoire européen
Légende image, L’oléoduc nigérian passera par le Niger et l’Algerie pour liver du gaz sur le territoire européen

L’embellie peut-elle durer ?

Les analystes sont tous unanimes, l’Afrique a produit moins d’hydrocarbures en 2022, mais a bénéficié du coût élevé de ces combustibles pour booster ses ventes.

Cette hausse des recettes dictée par la loi de l’offre et de la demande ne saurait se maintenir à ce niveau.

« Pour ce qui est des cours mondiaux de gaz, ils pourraient connaître un repli en raison de la stabilisation des sources d’approvisionnement des pays de l’Union Européenne, malgré l’enlisement du conflit russo-ukrainien », analyse un rapport du ministère camerounais de l’économie.

La banque mondiale, dans ses prévisions d’Avril dernier, entrevoyait une chute de 16 % du coût du Brent, pour cette année 2023.

Ce qui se serait observé sur le marché, mais selon les analyses du fournisseur d’énergie francais Engie, cette baisse dûe notamment grâce au renflouement des stocks européens ne devrait pas se maintenir après l’hiver 2023-2024.

Mais l’Europe ne devrait pas connaitre de répit sur le coût du gaz avant 2027. En effet, pendant que la demande européenne a baissé, celle de l’Asie a rebondi de 27% par rapport à son niveau de 2022, souligne un autre rapport, celui de Cedigaz, une association qui regroupe des sociétés gazières internationales, dont la mission est de fournir les données du marché.