(Bethlehem, Pennsylvanie) « Moi, je suis un républicain avec un point d’interrogation », affirme Efrain Santiago en souriant.
L’homme de 67 ans au crâne rasé a voté pour Donald Trump dans le passé, mais cette fois, Kamala Harris a son appui, dit-il. Les propos du candidat républicain critiquant les militaires et sa description de l’assaut du Capitole comme d’une « journée d’amour » ont particulièrement agacé ce vétéran né à Porto Rico.
« Je pense qu’il aurait fait une bonne job s’il avait réussi à se taire et qu’il s’était contenté de faire son travail », explique le vice-président de la Puerto Rican Beneficial Society, un club social de Bethlehem, en Pennsylvanie, où la communauté se rend pour discuter, manger, boire et danser.
La ville de 76 000 habitants est située à une heure et demie de route au nord de Philadelphie et à une heure et demie à l’ouest de New York. Son développement et sa démographie sont fortement liés à la Bethlehem Steel, une ancienne aciérie partiellement transformée en lieu de spectacles et de rencontres.
Circonscription mauve
La circonscription dans laquelle elle se trouve, Northampton, pourrait donner le ton à l’élection présidentielle : depuis 1920, ses électeurs ont donné la majorité des voix au candidat gagnant, à trois exceptions près.
On est dans une des circonscriptions les plus pivots d’un État pivot crucial.
Benjamin Felzer, président du comité démocrate de la ville de Bethlehem
Moins de 0,73 point de pourcentage a séparé les deux candidats présidentiels à Northampton en 2020.
Des électeurs comme M. Santiago, avec son changement d’allégeance, pourraient causer la surprise aux élections du 5 novembre.
État crucial
Dans la majorité des scénarios mis de l’avant par les experts, le chemin pour accéder à la Maison-Blanche passe par une victoire en Pennsylvanie, aussi connu comme l’« État clé de voûte » (The Keystone State). Avec ses 19 grands électeurs, c’est celui parmi les 7 États pivots qui a le plus de poids au collège électoral.
Les candidats y multiplient les rassemblements. À la télévision, à la radio, sur le bord des routes, les publicités politiques sont omniprésentes.
Dans la partie historique de Bethlehem, une immense pancarte jaune rappelle que Kamala Harris a voté pour réduire le prix des médicaments. Ailleurs dans la ville, des pancartes bleues plantées au sol témoignent d’un appui à la candidature de Donald Trump.
Vote portoricain
Quelque 20 % des habitants de Bethlehem parlent espagnol à la maison, avec une forte proportion de personnes d’origine portoricaine, particulièrement courtisées. Porto Rico étant un territoire rattaché aux États-Unis, ses résidants ne peuvent pas voter dans l’élection présidentielle, mais obtiennent ce droit dès qu’ils emménagent dans l’un des États.
Historiquement, les citoyens hispaniques en âge de voter se présentent en moins grand nombre que leurs concitoyens blancs et afro-américains aux urnes, selon les données du Bureau du recensement américain.
Une tendance que les deux principales formations politiques aimeraient renverser.
« J’ai l’impression qu’il y a plus de pression cette année, et que la pression vient plus du côté rouge [républicain] », témoigne Lisa Riche, en cuisinant des alcapurrias – un plat de plantains frits à la viande – dans la cuisine de la Puerto Rican Beneficial Society.
La quinquagénaire est une démocrate convaincue, et l’enjeu qui l’interpelle le plus est le droit des femmes, notamment sur le plan reproductif. « J’ai une fille de 32 ans et c’est important qu’elle ait des droits et des recours », dit-elle.
La question de l’avortement reste mobilisatrice, d’un côté comme de l’autre, même si la Pennsylvanie protège déjà l’interruption volontaire de grossesse jusqu’à 23 semaines de gestation.
Votes chrétiens
« Avant de voter comme Portoricain, je vote comme chrétien », exprime Robert Albino, qui a grandi à Bethlehem.
Rencontré dans un café à côté d’une taqueria, le pasteur évangélique de 37 ans se décrit comme « pro-vie ». Depuis trois ans, il est responsable de faire le pont avec les communautés latinos et hispanophones pour un réseau d’ambassadeurs religieux du Pennsylvania Family Institute, un groupe qui défend des valeurs chrétiennes.
L’organisme a mis sur pied « une boîte à outils électorale » à l’intention des pasteurs, explique M. Albino ; les églises ne peuvent faire de lobby directement pour un candidat, mais peuvent parler de politique. En présentant les différences entre les deux partis sur l’avortement ou les personnes transgenres, par exemple, ou en guidant les électeurs dans le processus d’inscription.
De l’île au continent
Le défi, selon M. Albino, est de transposer la politique de l’île à la politique du continent : à Porto Rico, les électeurs ont tendance à s’attacher aux partis selon leur position sur l’indépendance.
C’est une communauté conservatrice, religieuse, centrée sur la famille, mais ça ne se traduit pas systématiquement dans les votes, parce qu’ici, il y a eu plus de démocrates de Porto Rico qui leur ont offert une représentativité et qui ont été élus.
Robert Albino, pasteur évangélique
M. Albino note que les électeurs sont de moins en moins acquis.
Donald Trump continue d’avoir l’appui de fervents chrétiens, malgré ses frasques personnelles – ses trois mariages, ses positions passées sur l’avortement, les accusations contre lui.
« À moins que Jésus ne se présente aux élections, on aura toujours un candidat imparfait », répond M. Albino, qui soutient le républicain.
Même si elle assiste à la messe chaque dimanche, dans une église catholique de Bethlehem, Barbara Pizarro reste quant à elle une démocrate pro-choix.
Cette mère d’une adolescente de 16 ans est sceptique devant la campagne de séduction pour convaincre les électeurs d’origine portoricaine, comme elle, de rallier un parti. « Nous ne sommes pas une combine pour gagner, dénonce la femme de 45 ans aux lunettes foncées. Nous avons nos propres croyances et idées. Mais bon, c’est toujours comme ça que ça se passe. »
Partisans désabusés
La communauté portoricaine n’est pas la seule visée par les deux partis : les électeurs désabusés par leur parti habituel pourraient eux aussi avoir un impact important.
Dexter Andrew fréquente la même église que Mme Pizarro, tous les dimanches. L’électricien afro-américain de 60 ans a voté démocrate dans le passé. Mais il penche pour Donald Trump cette année.
Je pense qu’on a besoin d’un leader fort, qui ne se laissera pas intimider, et je ne pense pas que Kamala Harris ait cette force. Pas parce que je suis sexiste ou quoi, mais je pense que c’est [Donald Trump] le seul qui peut nous protéger contre les puissances extérieures.
Dexter Andrew, électricien
Profitant d’une belle journée d’automne pour casser la croûte près de l’ancienne aciérie avec sa famille, Michael Falcaro est lui aussi en réflexion, à deux semaines du scrutin.
L’enseignant et pompier de 42 ans, père de trois enfants, est enregistré comme démocrate à Coopersburg, mais n’aime pas la façon dont Kamala Harris est devenue candidate après le retrait de la course de Joe Biden.
Sa préférence allait à un candidat tiers, Robert F. Kennedy Jr., qui a suspendu sa campagne et ne sera pas sur le bulletin de vote en Pennsylvanie.
Je ne crois pas que Trump soit comme Hitler, je ne crois pas qu’il sera un dictateur, mais il reste sexiste et immature, et c’est dur de voir au-delà de ça.
Michael Falcaro, enseignant
Le prix du panier d’épicerie et la santé sont ses préoccupations principales, et il n’a pas l’impression que les deux candidats répondent à ses attentes sur ces sujets.
« En ce moment, je penche plus du côté démocrate, dit l’enseignant. J’aime beaucoup [le candidat à la vice-présidence] Tim Walz. Il est très authentique, vraiment gentil. »
LA PENNSYLVANIE EN BREF
- Capitale : Harrisburg
- Gouverneur : Josh Shapiro (D)
- Poids au collège électoral : 19 grands électeurs
Au Congrès
- Sénateurs : 2 démocrates
- Représentants : 9 démocrates et 8 républicains
- Population : 12 961 683 personnes (Estimation 1er juillet 2023)
- Taux de chômage : 3,4 % (septembre 2024)
Ethnicité*
- Blanc uniquement : 80,6 %
- Noir ou Afro-Américain uniquement : 12,3 %
- Hispanique ou latino : 8,9 %
- Deux ethnicités ou plus : 2,4 %
*Note : les répondants au recensement américain peuvent revendiquer plus d’une identité ethnique
- 40,7 % des adultes possèderaient une arme à feu (2021)
- 74 % de la population vit dans une région urbaine
- 26 % de la population vit dans une région rurale