
APRNEWS: Le Sud-Africain, Mark Bristow défie Assimi Goïta
Après des semaines de silence de part et d’autre et une escalade des tensions, le gouvernement malien et le canadien Barrick auraient repris cette semaine les négociations. L’ombre de Mark Bristow planera sur ces nouvelles discussions, même s’il n’est pas physiquement présent à Bamako. Le PDG de Barrick résiste en effet depuis un an à la pression du général Assimi Goïta, chef de l’Etat malien, qui a déjà fait plier la plupart des producteurs d’or actifs dans son pays.
Avec la signature mi-janvier 2024 d’un accord avec le britannique Hummingbird Resources pour le compte de la mine d’or Yanfolila, l’État malien a réglé ses comptes avec tous les propriétaires des mines industrielles du pays. Tous ? Non ! Barrick Gold résiste encore et toujours. Ce géant minier est dirigé par un homme d’affaires qui sillonne le continent depuis 1995. Il faut dire qu’en 30 ans de carrière dans l’industrie minière africaine, Mark Bristow n’est pas à son premier rodéo avec les gouvernements locaux, pour le meilleur… ou le pire.
De l’Afrique du Sud au Mali
Pour comprendre comment Dennis Mark Bristow, géologue titulaire d’un doctorat de l’université de Natal en Afrique du Sud, est devenu l’un des patrons les plus puissants de l’industrie minière mondiale, tenant tête à des États, il faut remonter à la fin du 20e siècle.
Né en 1959, c’est en 1986 que le jeune professeur décide de troquer définitivement ses fiches de cours pour des bottes et un casque de chantier. Lorsque Rand Mines lui demande de choisir entre l’université, où il occupait un poste de recherche, et un engagement plein et entier dans l’un des plus grands groupes miniers de l’époque, c’est la seconde option qui l’emporte.
Après avoir fait quelques années ses armes en tant que géologue dans ce groupe, M. Bristow est chargé en 1992 de l’exploration et des nouvelles activités d’une société plus petite, Randgold & Exploration. Il prend les rênes de Randgold Resources en 1995, une société créée la même année pour regrouper les actifs non sud-africains de Randgold & Exploration.
« C’est à lui que l’on doit le développement de Randgold à partir de rien […] Mark a tout fait pour que cela se produise. Il a réuni tout l’argent et recruté toutes les personnes », se rappelle pour Northern Miner David Reading, actuellement président de Cordoba Minerals Corp et à l’époque collaborateur de Bristow.
Randonnée à moto à travers l’Afrique pour la collecte de fonds caritatifs
C’est donc loin de sa terre natale, l’Afrique du Sud, que le tout nouveau PDG bâtira sa réputation. Si les débuts sont difficiles, avec notamment un échec sur des licences de BHP Billiton rachetées au Mali, Randgold Resources acquiert sa première mine d’or dans le pays en 1996. La compagnie rachète la mine d’or Syama, appartenant à l’époque à BHP Billiton, avant de construire puis ouvrir elle-même sa première mine quatre ans plus tard.
La mine d’or Morila, restée sous le contrôle de Randgold Resources pendant environ deux décennies, sera l’une des plus productives de l’histoire aurifère du Mali, avec plus de 6 millions d’onces d’or livrées. Sous la houlette de Mark Bristow, Randgold enchaine les succès au Mali, avec l’ouverture en 2005 de la mine Loulo qui s’agrandira en 2011 avec la mise en service de la mine Gounkoto. La combinaison des deux actifs donnera naissance au complexe aurifère Loulo-Gounkoto.
La compagnie répliquera ces succès dans d’autres pays, en ouvrant les mines d’or Tongon (Côte d’Ivoire) en 2010 et Kibali (RDC) en 2013. Randgold ne réussira néanmoins pas à s’imposer au Burkina Faso et au Ghana, où la société a mené des travaux d’exploration peu fructueux. Selon M. Bristow, la réussite réside dans l’attention primordiale accordée à l’exploration et à l’identification de gisements clés par les équipes internes de la compagnie.
« J’ai toujours attribué le succès de Randgold au fait que Mark est avant tout un géologue et qu’il a toujours veillé à ce que Randgold place la géologie au premier plan de son modèle d’entreprise […] Il n’a jamais perdu le contact avec les troupes sur le terrain et s’est assuré d’avoir son mot à dire dans le processus d’exploration et les observations géologiques sur tous les projets », confirme Craig Pearman, un autre dirigeant minier qui l’a bien connu.
De Randgold à Barrick
La capacité de Mark Bristow à développer des mines d’or prospères s’accompagne aussi d’une étonnante résilience aux situations de crise qui accompagnent souvent l’exploitation de projets miniers en Afrique. Par exemple, c’est en pleine crise électorale en Côte d’Ivoire que la mine d’or Tongon, enregistrera en 2011 ses premiers trimestres de production. Sans oublier que les mines de Randgold ont fonctionné dans un contexte politique difficile au Mali depuis les années 2000, avec des coups d’État successifs.
Mark Bristow et son entreprise font mieux que résister et l’entreprise deviendra le deuxième producteur d’or en Afrique. Ses mines livrent annuellement plus d’un million d’onces au milieu des années 2010. Ce succès constant finira par attirer en 2018 l’attention du premier producteur mondial d’or à l’époque, le canadien Barrick Gold. Au bout d’une transaction qui valorise Randgold à 6 milliards de dollars, Bristow prend les rênes de l’entité issue de la fusion entre Randgold et Barrick. Il passe ainsi de la gestion de quelques mines en Afrique à la supervision d’opérations dans 18 pays répartis sur trois continents.
C’est dans ses nouvelles fonctions que Mark Bristow révèle une nouvelle fois son talent pour les négociations difficiles. En 2019, il met un terme à un différend de plusieurs mois entre l’une des filiales de Barrick (Acacia Mining) et l’État tanzanien, qui avait alors infligé un redressement fiscal de 190 milliards de dollars à la société. Grâce à son nouveau PDG, Barrick s’en tirera finalement avec un versement de 300 millions de dollars.
Mais tout n’est pas rose pour Bristow qui, malgré des mois de lobbying et des menaces à peine voilées, n’a pas réussi à faire plier le gouvernement congolais en 2018. Adopté en janvier 2018 par l’Assemblée nationale, le nouveau code minier en RDC a suscité la fronde des compagnies minières, qui sont allées jusqu’à claquer la porte de la Fédération des entreprises du Congo (FEC).
« La FEC n’a jamais été, et n’a pas vocation à devenir la tête de pont des intérêts particuliers de tel ou tel, quand ceux-ci ne lui semblent pas conformes au bien commun et à l’intérêt supérieur de la nation », leur répondra l’organisation accusée de ne pas défendre les intérêts des miniers.
Après l’épisode congolais, c’est désormais au Mali que se déroule le nouveau bras de fer entre Mark Bristow et un gouvernement africain. Après un audit minier ayant révélé un manque à gagner de 300 à 600 milliards FCFA pour l’État malien, Bamako a décidé de récupérer les fonds auprès des compagnies minières. Selon Reuters, le gouvernement réclame environ 500 millions de dollars à Barrick, propriétaire de sa plus grande mine d’or (environ 700 000 onces livrées par Loulo-Gounkoto en 2023).
Fort de son expérience tanzanienne, le patron du deuxième producteur mondial d’or tente depuis des mois de faire baisser la facture, sans succès. De quoi irriter Bamako, qui a récemment fait enfermer les dirigeants de la filiale de Barrick. Habitué à se rendre plusieurs fois par an dans les pays où Barrick opère, Mark Bristow n’a pourtant effectué aucune visite au Mali depuis plusieurs mois, afin de négocier avec les autorités sur place. Difficile de savoir si son expérience en tant qu’officier dans l’armée sud-africaine (où il participe activement à la lutte contre la guérilla au Swaziland et en Angola dans les années 1970) lui aura appris à flairer le danger, mais l’avenir lui donnera raison.
Ayant manqué de la même clairvoyance, Terence Holohan, PDG de Resolute Mining, a en effet été arrêté au Mali en novembre 2024. Arrivé dans le pays pour trouver un accord à l’amiable avec les autorités, le dirigeant a été interpellé à son hôtel de Bamako puis détenu plusieurs jours. Il ne sera libéré qu’après que sa compagnie, qui exploite la mine d’or Syama, a accepté de verser 160 millions $ au gouvernement. Las d’attendre que Mark Bristow se présente, Bamako émettra finalement un mandat d’arrêt contre le patron de Barrick Gold, qui n’a toujours pas abdiqué.
Une issue incertaine
Malgré la reprise des négociations entre Barrick et le gouvernement malien, ces derniers jours, rien ne permet encore de savoir si les parties parviendront à un accord. En septembre dernier, un protocole d’accord avait été annoncé et Barrick déclarait le paiement de 50 milliards FCFA. Le gouvernement a ensuite remis en cause l’accord et a bloqué les exportations de la compagnie, avant de saisir en janvier 2025 les stocks d’or sur le site de Loulo-Gounkoto. Barrick a en réaction suspendu ses opérations dans le pays et annoncé le lancement d’une procédure d’arbitrage.
« Barrick poursuit ses efforts pour parvenir à un accord avec le gouvernement malien sur un protocole d’accord visant à résoudre les différends existants, à redéfinir l’avenir du partenariat et à accroître la part des bénéfices du complexe Loulo-Gounkoto revenant à l’État », assure M. Bristow.
La compagnie rappelle qu’elle a investi plus de 10 milliards de dollars au Mali au cours des 29 dernières années, générant annuellement entre 5 et 10 % du PIB.
Selon les dernières informations disponibles, le Mali réclamerait désormais 199 millions de dollars et l’application du nouveau code minier aux mines de Barrick. Adopté en 2023, cette loi prévoit une participation maximale de 35 % pour l’État malien et les investisseurs locaux, contre 20 % d’intérêts détenus actuellement par Bamako dans Loulo-Gounkoto. En échange, Bamako rendrait les quelque 3 tonnes d’or saisies, d’une valeur de 250 millions $. Pendant ce temps, les 8000 employés de Barrick et les fournisseurs locaux de sa mine attendent…