APRNEWS: Le Royaume-Uni courtise l’Afrique
Londres semble croire que le transfert de souveraineté des îles Chagos rendra plus probable le soutien des pays africains à ses objectifs de politique étrangère. Début octobre 2024, le gouvernement britannique a renoncé à sa souveraineté sur les îles Chagos, un archipel isolé de l’océan Indien que l’île Maurice, revendique depuis longtemps.
Ces îles sont considérées comme stratégiques en raison de leur situation géographique entre deux continents, au cœur de l’océan Indien, et parce qu’elles abritent une base militaire conjointe des États-Unis et du Royaume-Uni à Diego Garcia. Selon les termes de l’accord, Maurice assumera la pleine souveraineté sur les îles Chagos, y compris Diego Garcia, et recevra un ensemble d’aides financières de la part du gouvernement britannique.
Le gouvernement britannique veut établir des relations plus positives avec les pays africains dans le cadre d’une « remise à zéro » plus large visant à démontrer que Londres aborde le continent dans un esprit de respect et d’égalité.
Dans une déclaration conjointe avec le président mauricien Prithvirajsing Roopun, le Premier ministre britannique Keir Starmer déclarait que le traité à venir finalisant cet accord permettra de « réparer les erreurs du passé et de démontrer l’engagement des deux parties à soutenir le bien-être des Chagossiens ». Et qu’« il marquera également le début d’une nouvelle ère de partenariat en matière d’économie, de sécurité et d’environnement entre nos deux nations ».
Cette annonce et son calendrier ont largement surpris les analystes de la politique étrangère, même si l’ancien gouvernement dirigé par les conservateurs avait accepté d’ouvrir des négociations avec Maurice sur le statut des îles en novembre 2022.
En effet, alors que l’île Maurice et l’Union africaine réclament depuis de nombreuses années la fin de la souveraineté britannique sur les îles Chagos, considérant le territoire comme le dernier vestige du colonialisme britannique en Afrique, les discussions n’avaient guère abouti jusque-là.
L’une des raisons en est l’inquiétude des Britanniques et des Américains quant à l’influence de la Chine sur l’île Maurice : Pékin a investi massivement dans des infrastructures stratégiques sur l’île, telles que des barrages et des aéroports, et entretient des relations politiques et économiques étendues avec Port-Louis.
Les faucons chinois du Royaume-Uni et des États-Unis ont donc craint que la souveraineté mauricienne sur les îles Chagos n’ouvre la voie à une présence chinoise accrue sur le plan politique, voire militaire, en Afrique et dans la région indo-pacifique. Tom Tugendhat, député conservateur et éminent critique de la Chine, a ainsi déclaré que « cet accord menace non seulement notre sécurité, mais aussi nos alliés, en ouvrant la possibilité à la Chine de s’implanter militairement dans l’océan Indien ».
Une tentative de réchauffement des relations
Comment expliquer ce brusque changement de cap ? Outre la pression juridique internationale exercée sur le Royaume-Uni par de nombreux tribunaux, le gouvernement britannique a laissé entendre qu’il était motivé par la volonté de transférer rapidement la souveraineté sur les îles Chagos à l’île Maurice afin de favoriser des relations plus chaleureuses avec les pays africains. Selon la BBC, le gouvernement considère que la fin de ce différend rendra plus probable le soutien des pays africains aux objectifs de la politique étrangère britannique, comme le soutien à l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie, au sein des instances internationales telles que les Nations unies.
Par exemple, le nouveau gouvernement travailliste a exprimé son désir de « réinitialiser » les relations britanniques avec l’Afrique. Il s’est ainsi engagé à publier une stratégie actualisée pour l’Afrique qui décrira comment il envisage de construire des relations politiques et économiques plus fortes et plus proactives sur le continent ; jusqu’à présent, peu de détails ont filtré sur ce à quoi cette stratégie pourrait ressembler concrètement.
Le nouveau ministre des Affaires étrangères, David Lammy, a critiqué les gouvernements et diplomates précédents pour ne pas avoir traité les pays africains « d’égal à égal » et il est un critique virulent de l’histoire coloniale de la Grande-Bretagne – ce qui suggère qu’il considère cette décision de renoncer à la souveraineté sur les îles Chagos comme une rupture bienvenue avec le passé de la Grande-Bretagne et comme une occasion de « réinitialiser » les relations en Afrique.
Au-delà de l’île Maurice, les dirigeants africains sont restés largement silencieux sur l’accord concernant les îles Chagos ; seule l’Union africaine a publié une déclaration saluant cette décision. « Cette étape importante marque une victoire majeure pour la cause de la décolonisation, du droit international et de l’autodétermination légitime du peuple mauricien, mettant fin à des décennies de conflit », y déclare Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine. Qui rappelle le soutien actif de l’Union africaine au gouvernement de Maurice dans sa poursuite juridique pour la restitution des îles Chagos depuis 2018. « Cette collaboration a jeté les bases du dossier solide présenté à la Cour internationale de justice, où l’Union africaine a souligné l’importance de la décolonisation et de l’intégrité territoriale des États africains. »
Sous le mépris
Malgré ces paroles chaleureuses, de nombreux analystes de la politique étrangère doutent que la décision du Royaume-Uni de transférer finalement la souveraineté des îles à l’île Maurice ait un impact pratique sur l’efficacité de la politique étrangère britannique en Afrique. Edward Howell, maître de conférences en géopolitique à l’université d’Oxford, déclare à African Business que « la décision de céder les îles Chagos à l’île Maurice est indigne et rien de moins qu’un désastre pour la politique étrangère du Royaume-Uni ».
Alors que le gouvernement aurait espéré que cette décision inciterait les pays africains à soutenir la politique étrangère britannique et occidentale, contrant ainsi l’influence de concurrents et d’adversaires tels que la Chine et la Russie, l’universitaire estime que l’inverse risque de se produire.
« À l’heure où les rivalités régionales s’exacerbent dans un ordre mondial marqué par une concurrence croissante entre la Chine et l’Occident, la décision du Royaume-Uni risque d’exacerber ces polarisations et de saper l’engagement du Royaume-Uni à faire face à la menace stratégique posée par la Chine. »
« L’histoire de la Chine, qui cherche à étendre son influence en Afrique, est bien connue, notamment sa base navale à Djibouti et son financement d’une centaine de ports sur le continent », ajoute Edward Howell. « Avec la Chine et la Russie qui appellent à un « ordre mondial alternatif » pour rivaliser avec celui dirigé par les États-Unis, la Chine continuera à utiliser son statut autoproclamé de pays en développement pour approfondir ses liens avec l’Afrique, car elle cherche de plus en plus à défier l’ordre international dirigé par les États-Unis, surtout à un moment où cet ordre est déjà contesté par des pays comme la Russie, la Corée du Nord et l’Iran ».
Le groupe des pays en développement BRICS est l’un de ces aspirants à la « contestation » de cet ordre. L’Afrique du Sud, l’Égypte et l’Éthiopie étaient les trois pays africains présents à la récente réunion de Kazan (Russie), tandis que de nombreux autres pays du continent ont exprimé leur intérêt à participer aux prochains sommets, notamment l’Algérie, le Ghana et le Nigeria.
Le gouvernement britannique espère qu’en renonçant à sa souveraineté sur les îles Chagos, il pourra établir des relations plus positives avec les pays africains dans le cadre d’une « remise à zéro » plus large visant à démontrer que Londres aborde le continent dans un esprit de respect et d’égalité. En retour, on espère que cela pourrait même aider à contrer le désir croissant de nombreux pays africains de s’aligner sur des blocs alternatifs, tels que le groupe des BRICS, qui visent explicitement à réduire le pouvoir des alliés de l’Occident. Toutefois, il n’est pas du tout certain que ce soit le cas – ou que la démarche ne se révèle autodestructrice.