
APRNEWS: Le cacao congolais au cœur des convoitises et des violences
La commercialisation du cacao de Beni et ses environs attise les convoitises, mais pas uniquement celle des groupes armés. L'Ouganda contrôle en effet une bonne partie du marché du cacao congolais.
Dans l’est de la République démocratique du Congo, en plus d’un sous-sol riche en minerais, l’économie locale repose sur la culture du cacao. Celui-ci est cultivé à Beni, dans le Nord-Kivu, mais aussi en Ituri, deux provinces touchées par la violence des groupes armés.
« Le cacao est très précieux, nous devons bien encadrer sa commercialisation, afin d’éviter que le cacao produit en RDC soit exporté sous le label des pays voisins », déclare Justine Masika, la responsable du département commercial au sein de l’Office national des produits agricoles, l’Onapac, une entreprise étatique qui assure le contrôle de la qualité, des achats et de l’exportation des produits agricoles, notamment le cacao et le café en RDC.
Depuis début 2025, Justine Masika a multiplié les actions de sensibilisation auprès des producteurs, des acheteurs et des exportateurs de cacao. Son objectif est d’empêcher la contrebande.
« Notre rôle est de contrôler tous les mouvements des produits agricoles. Nous faisons de la sensibilisation de la base au sommet, afin d’assurer la traçabilité du cacao et du café congolais. Nous avons intérêt à ce que tout soit bien canalisé, afin que ce qui a été produit au Congo entre dans les statistiques des exportations nationales de la RDC, non en faveur de l’économie de l’Ouganda », affirme-t-elle.
Le gouverneur du Nord-Kivu a récemment signé un arrêté interdisant la vente illicite des produits congolais. L’Onapac a ainsi multiplié la surveillance aux différents points de sortie des plantations de cacao vers les entrepôts en ville et au niveau des frontières entre la RDC et l’Ouganda.
Mais pour Mathe Kilolo, président de l’Union des négociants des produits agricoles au Congo, ce sont plutôt les tracasseries et la surtaxation en RDC qui favoriseraient cette contrebande.
« S’il y a de la fraude, l’Etat congolais en a une part de responsabilité. Il y a beaucoup de taxes à payer ici, trop de tracasseries autour du cacao et les opérateurs économiques se sentent asphyxiés. Tout ça favorise la contrebande. Par ailleurs, certaines entreprises congolaises spécialisées dans l’exportation du cacao n’ont souvent pas de liquidités et veulent nous imposer un prix très bas », déplore Kilolo.
Et d’ajouter : « Et puisqu’on ne trouve pas de bénéfice dans la voie légale, c’est comme ça que certains trouvent des chemins illicites pour accéder au marché ougandais. Lorsque nous serons mis dans de bonnes conditions en RDC, il n’y aura plus cette tendance d’aller vendre le produit en Ouganda et cette fraude va disparaître. »
Pourtant, la flambée des prix du cacao sur le marché mondial, depuis un peu plus d’une année, a accentué des violences dans l’est de la RDC. De nombreux producteurs de cacao ont été tués dans leur plantation par des rebelles de l’ADF, les Forces démocratiques alliées, et par des milices locales qui ont attaqué les champs de cacao.
Les armées congolaise et ougandaise mènent pourtant, depuis mai 2021, des opérations conjointes dans la région visant à neutraliser ces groupes armés.
« La corruption gangrène presque tous les secteurs »
Pour l’économiste Christian Kayambya, cette insécurité empêche les investisseurs de la filière cacao de s’installer en RDC. Il dénonce, toutefois, « une fraude bien organisée » à la frontière entre la RDC et l’Ouganda dans l’achat et la revente du cacao.
Selon Christian Kayambya, au moins 85% de la production du cacao ougandais proviendrait de la République démocratique du Congo.
« Beaucoup d’investisseurs préfèrent rester en Ouganda. En s’installant en Ouganda, ils envoient des acheteurs au Congo, ils signent des contrats avec des individus ou des petites coopératives pour qu’on leur amène le produit en Ouganda. Malheureusement, une fois en Ouganda, cette production est déclarée sur le compte de la République ougandaise, au détriment de la RDC. C’est un manque à gagner » déclare Kayambya.
Selon l’expert « il y a un peu de légèreté en RDC, la corruption gangrène presque tous les secteurs ». Il attire également l’attention sur le fait que la RDC n’a « pas une politique agricole claire, mais lorsque l’Etat prendra toute sa responsabilité, la RDC reprendra sa place ».
En décembre 2024, la Fédération des entreprises du Congo a aussi alerté sur la décision de l’Union européenne visant à retirer au cacao congolais son label biologique.
En effet, l’insécurité dans l’est du pays empêche les organismes de certification de déployer leurs inspecteurs sur le terrain. La mesure doit entrer en vigueur le 31 décembre 2025.
Mais pour la société civile locale, cette décision, si elle est confirmée, risque de favoriser la contrebande de cacao congolais vers l’Ouganda.
DW