APRNEWS: La jeunesse se fait entendre
Les gouvernements africains doivent tenir davantage compte des aspirations d’une jeunesse africaine avide d’une meilleure gouvernance et de meilleures conditions de vie.
Au cours de l’année écoulée, les frustrations de la jeunesse africaine ont atteint leur paroxysme ; les dirigeants politiques en prennent conscience. Les jeunes sont mécontents de l’état de la gouvernance, impatients du rythme du développement et désillusionnés par les institutions politiques. Tel est le constat établi dans le rapport Africa Risk-Reward Index publié fin septembre 2024 par Control Risk.
Les analystes évoquent les « humiliations » subies par Cyril Ramaphosa en Afrique du Sud, Macky Sall au Sénégal et William Ruto au Kenya, avec des conséquences diverses pour ces chefs d’État.
Les gouvernements cherchent à investir dans les industries créatives et le sport, car les jeunes ne veulent pas seulement des emplois de bureau, d’agriculteur ou d’ouvrier.
On le voit, la « colère palpable » des jeunes à l’égard de leurs dirigeants s’exprime à la fois dans les sondages et dans la rue. Auparavant, les gouvernements pouvaient l’ignorer et se contenter de déployer les forces de sécurité de l’État pour étouffer la contestation. La deuxième étape de cette stratégie consistait à coopter les leaders de l’opposition pour leur confier des postes prestigieux au sein du gouvernement.
« Toutefois, cette stratégie ne semble plus fonctionner correctement », commentent les analystes de Control Risk. Au Kenya, après les manifestations de juin, le sentiment antigouvernemental a persisté même après la nomination des ministres de l’opposition. Au Nigeria, la société civile et les syndicats se sont mobilisés en août pour réclamer des réformes de gouvernance, malgré les avertissements des forces de sécurité de l’État selon lesquels ces manifestations seraient illégales.
L’échec de la stratégie de pacification habituelle s’explique par quelques facteurs clés, analyse Control Risk. Tout d’abord, les gouvernements sont confrontés à des populations de plus en plus instruites et de plus en plus jeunes.
Les taux de chômage et de sous-emploi des jeunes Africains sont obstinément élevés, même si les niveaux d’éducation ont augmenté. Ils obtiennent des diplômes de l’enseignement secondaire et supérieur, mais ne trouvent pas toujours d’emploi correspondant à leurs compétences.
Des avantages injustes
Pendant des décennies, les systèmes et les programmes éducatifs ont été axés sur la formation de travailleurs pour des emplois de cols blancs et des emplois industriels, « mais ces emplois sont encore peu nombreux et concentrés dans les capitales, où ils coûtent cher ». Bien qu’il y ait des différences dans les définitions et les interprétations de l’emploi, une constatation constante dans tous les pays est que le taux de chômage des jeunes est beaucoup plus élevé, souvent le double ou plus, que le taux de chômage national.
Cette population éduquée est plus connectée aux développements mondiaux, avec un meilleur accès à l’information, y compris via les médias sociaux. Ces groupes sont plus conscients et ont des idées plus claires sur la manière dont les gouvernements devraient travailler au profit de leurs citoyens. Ils voient comment les fonds publics sont utilisés pour améliorer les infrastructures, l’éducation et les soins de santé dans d’autres parties du monde. Et constatent que certains de leurs homologues du monde entier semblent avoir une vie meilleure grâce à cela.
Et ils apprennent de leurs homologues du continent : les récentes manifestations antigouvernementales au Kenya ont incité la société civile à se mobiliser en Ouganda, en Tanzanie et au Nigeria. Et pourtant, alors que les jeunes languissent faute d’opportunités, leurs politiciens semblent vivre somptueusement de l’argent du gouvernement. « Cette question n’était peut-être pas aussi importante au cours des décennies précédentes, lorsque l’accès à l’information était plus limité, mais un journalisme plus audacieux et les médias sociaux ont mis en lumière les excès perçus des dirigeants politiques africains en période de vaches maigres. »
Éloignés des clichés sur l’Afrique, les jeunes remettent ouvertement en question la direction que leurs dirigeants donnent à leur pays. Tandis que de leur côté, les gouvernements disposent de moyens limités pour apaiser la colère.
Face à ces perspectives instables, certains gouvernements semblent s’attaquer directement aux principales préoccupations de leurs populations. Au Sénégal, le gouvernement a augmenté en août la facture fiscale de l’une des principales compagnies pétrolières, le président Bassirou Diomaye Faye cherchant à tenir sa promesse électorale d’accroître les bénéfices du secteur pétrolier et gazier naissant du Sénégal pour les populations locales. En Afrique du Sud, le gouvernement de coalition de Cyril Ramaphosa a redéfini les priorités de la situation énergétique du pays, en répondant directement aux préoccupations exprimées par la population pendant la période électorale.
Quid des pays sahéliens ?
Et au Kenya, s’il est peu probable que William abandonne complètement toutes ses mesures fiscales, son prochain budget sera prudent en ce qui concerne les augmentations de taxes sur les produits de base.
De leur côté, les dirigeants d’Afrique du Nord sont particulièrement désireux de montrer qu’ils sont à l’écoute des préoccupations des populations locales, car ils tentent d’éviter une nouvelle vague de soulèvements populaires. L’expérience du « Printemps arabe » en 2010-2011 a rendu les gouvernements à la fois moins tolérants à l’égard de la dissidence et plus soucieux d’apaiser les griefs populaires avant qu’ils ne s’aggravent.
En juillet 2023, la Tunisie a « audacieusement rejeté » un plan de sauvetage du FMI, en déclarant que les coupes dans les subventions aux produits alimentaires et aux carburants ne seraient pas acceptables pour la population. L’Égypte a réussi à obtenir un financement du FMI, mais a également refusé de réduire les subventions.
Les administrations dirigées ou dominées par des militaires ne sont pas à l’abri de cette pression. « Après avoir pris le pouvoir en promettant la sécurité et la prospérité économique, les juntes du Sahel n’ont pas encore tenu leurs promesses », font observer les analystes de Control Risk. Les groupes militants semblent au contraire gagner du terrain dans certaines régions du Burkina Faso, du Mali et du Niger, et les militaires subissent de lourdes pertes. Ces administrations ont fortement réprimé la dissidence, ce qui signifie qu’il n’y a pas eu de protestations à grande échelle. Pourtant, « si elles ne parviennent pas à améliorer de manière significative les perspectives d’avenir de leurs jeunes populations, elles risquent de provoquer des désertions dans l’armée, le recrutement par des groupes militants et l’émigration de la région ».
L’entreprise n’est plus un modèle
Sur le plan de l’économie, « les gouvernements sont conscients que pour de nombreux jeunes, l’idée de cultiver la terre ou de travailler dans les mines et les usines comme l’ont fait leurs parents et leurs grands-parents pendant des générations n’est pas du tout attrayante ». Par conséquent, la quasi-obsession de l’industrialisation et de l’augmentation des rendements agricoles est remplacée par une approche plus nuancée de la création d’emplois. Cela a conduit à mettre davantage l’accent sur la valeur ajoutée nationale dans tous les secteurs.
Par exemple, les gouvernements cherchent à investir dans les industries créatives et le sport, car les jeunes ne veulent pas seulement des emplois de bureau, d’agriculteur ou d’ouvrier.
Pour leur part, le gouvernement marocain et les travailleurs de la santé ont signé en juillet un accord pour augmenter les salaires et améliorer les conditions de travail, après des semaines de manifestations nationales menées par les syndicats des travailleurs de la santé. Car dans ce qui semble faire partie d’un phénomène mondial, le sentiment contre les grandes entreprises s’accroît. « Les entreprises seront de plus en plus prises en étau entre l’ambition des gouvernements et la méfiance des jeunes », constate Control Risk. Qui s’attend à une hausse de la fiscalité sur les entreprises, notamment étrangères.