APRNEWS: La démocratie « mal comprise » de l’Afrique centrale

APRNEWS: La démocratie « mal comprise » de l’Afrique centrale

Un rapport analyse les points de convergence de la piètre gouvernance des pays d’Afrique centrale, où les principes démocratiques ont du mal à s’ancrer dans le paysage politique.

« Que ce soit le Tchad, terminant une transition politique, le Gabon encore en plein processus transitionnel, ou le Congo et le Cameroun, connaissant des régimes de très longue durée, avec des figures de l’exécutif vieillissantes au pouvoir depuis plusieurs décennies et des craintes quant à leur succession, chacun fait face à des défis de stabilisation. » Tel est le constat du collectif Tournons la page, qui publie un Baromètre de la Démocratie en Afrique centrale, qui n’annonce guère d’éclaircies, sur le plan de la gouvernance politique, de la liberté d’opposition ou de la presse.

La démocratie différemment intégrée, la prolifération des partis et des indicateurs biaisés, ne garantissent pas la représentativité dans les élections, et encore moins les institutions et administrations des pays.

Ces pays, longtemps piliers de la Françafrique – laquelle est toujours remise en question –, portent sur le plan international des enjeux économiques forts, souligne ce Baromètre en son introduction. Les liens avec la France tombent en obsolescence face à un « sentiment anti-français » et « anti-occidentalisme » en croissance, et des nouvelles puissances comme la Russie et la Chine qui trouvent une fenêtre d’opportunité pour s’immiscer et influencer les paysages politiques des pays de l’Afrique centrale.

L’engagement russe ainsi que les investissements chinois marquent depuis des décennies un revirement dans le choix d’alliés diplomatiques en Afrique, proposant des alternatives aux modèles démocratiques occidentaux aussi bien sur la scène internationale que sur les paysages politiques internes. C’est pourquoi ce rapport vise à offrir une vue d’ensemble des processus démocratiques dans quatre pays d’Afrique centrale (Cameroun, République du Congo, Gabon, Tchad) afin d’en comprendre les enjeux et défis. Et de déboucher sur une analyse prospective.

L’état des lieux, est, dans l’ensemble, déjà connu. Le Cameroun, par exemple, est qualifié de « régime autoritaire » par The Economist et de « non libre » par Freedom House. Tandis que l’Indice Ibrahim sur la justice ne cite guère le Cameroun en exemple. « Les scrutins électoraux se déroulent dans un contexte de corruption endémique et de clientélisme à tous les niveaux, de la société civile aux élites politiques », insiste le rapport.

 

Des doutes sur les transitions

Qui évoque « la persécution » de certaines associations de défense des droits humains. Et le rapport de s’interroger, par exemple, sur les nominations, à des postes peu importants, de ministres issus de l’opposition ; démarche qui a surtout pour conséquence de faire taire l’opposition à Paul Biya.

De même, le Cameroun, classé 130 sur 180 pays en 2023 par Reporters Sans Frontières, « présente un environnement dangereux pour les journalistes ». Le rapport dénonce également les nombreuses restrictions dans l’accès à l’Internet, ainsi que les lois supposées combattre la cybercriminalité mais détournées de leur objectif pour brider toute voix dissidente.

Le président de la Transition au Gabon, Brice Oligui Nguema.
Le président de la Transition au Gabon, Brice Oligui Nguema

Le tout, dans un pays où les lois anti-corruption ne sont guère appliquées. Quant à l’inclusion dans la vie sociale et politique des femmes, des jeunes, des minorités ethniques, elle reste « insuffisante », en dépit de la bonne volonté exprimée par le gouvernement.

Il en est de même pour le Gabon, à peine mieux noté par ce Baromètre. Un pays il est vrai engagé dans une phase de « transition » dont on ne sait avec certitude si elle se terminera en août 2025 comme annoncé. Ici, note Reporters sans frontières, la liberté de la presse a fait un bond spectaculaire, mais l’autocensure reste de mise, bien que les intimidations physiques ne soient plus à l’ordre du jour.

De même, les maux dont pouvaient souffrir le pays avant 2023, comme la corruption, n’ont pas disparu du jour au lendemain. Et pourtant, les critiques radicales contre le régime Bongo se font plus clémentes, comme si la méfiance avait remplacé l’opposition franche. Ce sentiment est partagé par les témoins interrogés par les auteurs du rapport, qui mêle ainsi données issues d’autres sources et témoignages directs.

Sur le plan politique, la transition est marquée par une surreprésentation de l’ancien régime et des militaires dans les instances de pouvoir, souligne le Baromètre. Qui note « un espoir » dans le dialogue national, regrettant que les éléments sensibles ne soient pas abordés, tandis que la société civile est souvent réduite au silence. Le chef de la transition, Brice Oligui Nguema, est en pré-campagne pour un référendum, cherchant à se positionner politiquement.

Un réseau mondial sous surveillance.
Un réseau mondial sous surveillance.

 

Le Tchad est également un « pays non libre », une situation exacerbée par les tensions sécuritaires au Sahel. La vie politique est marquée par une faible séparation des pouvoirs, avec un pouvoir exécutif dominant les instances législatives et judiciaires. Si le pays compte quelque 200 partis politiques, la démocratie serait « mal comprise ». Et si le paysage médiatique progresse, les journalistes peuvent faire l’objet d’arrestations arbitraires et être placés en détention, voire emprisonnés.

 

Un modèle exporté

Un constat guère plus brillant au Congo, miné par la corruption et la faible transparence gouvernementale. « La corruption est omniprésente dans toutes les institutions congolaises ; il est nécessaire de payer des pots-de-vin pour accéder à des services publics de base comme l’éducation », dénonce le rapport.

Ce, malgré l’adoption en 2019 d’une loi sur la corruption ainsi que de nombreuses mesures pour lutter contre ce fléau, sous la pression du FMI (Fonds monétaire international). Par exemple peu de personnalités élues ou nommées déclarent publiquement leur patrimoine.

Le rapport interroge sur la perception même de la démocratie en Afrique centrale, sur la possibilité de répliquer un modèle venu d’ailleurs. Cette démocratie « mal comprise » consiste par exemple à se satisfaire d’un nombre important de partis politiques, dans tel ou tel pays.

Or, « le nombre de partis politiques fantômes est problématique et appauvrit l’offre politique de manière permissive. La démocratie différemment intégrée, la prolifération des partis et des indicateurs biaisés, ne garantissent pas la représentativité dans les élections, et encore moins les institutions et administrations des pays. Il faut tenir compte, après tout, du fait que ce modèle exporté de gouvernance est peu investi et approprié par la population », expliquent les auteurs.

Le rapport se conclut par une série de recommandations à la société civile, aux gouvernements, aux organisations internationales et aux partenaires bilatéraux.

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