
APRNEWS: La catégorie légale du décret de 1987 relatif à Tidjane Thiam.
Le décret du 24 février 1987 reconnaissant Tidjane Thiam comme français n'était pas une naturalisation créant un nouveau droit, mais plutôt une réintégration dans la nationalité française, confirmant un statut antérieur. L'effet de cet acte administratif était déclaratif, reconnaissant une situation juridique préexistante, comme établi par un arrêt du Conseil d'État de 1967. L'article 153 du Code de la nationalité française de l'époque permettait explicitement cette réintégration. Un arrêt ultérieur du Conseil d'État en 1990 a également souligné que les décrets de naturalisation peuvent avoir un effet déclaratif dans des contextes post-coloniaux complexes.
La nature juridique du décret de 1987 concernant TIdjane Thiam
CE QU’IL FAUT SAVOIR :
👉 1- Le décret du 24 février 1987, par lequel TIDJANE THIAM a formellement été reconnu comme français, est souvent présenté à tort comme une « naturalisation » créant un droit nouveau. Cette interprétation méconnaît la distinction fondamentale entre l’effet constitutif et l’effet déclaratif des actes administratifs.
L’arrêt du Conseil d’État du 22 novembre 1967, Sieur Bottan (Rec. CE, p. 434), a clairement établi qu' »un acte administratif peut avoir un caractère déclaratif plutôt que constitutif lorsqu’il se borne à reconnaître une situation juridique préexistante. »
L’article 153 du Code de la nationalité française (applicable en 1987) évoquait explicitement « la réintégration dans la nationalité française des personnes qui établissent avoir possédé la qualité de Français », reconnaissant ainsi la possibilité juridique de confirmer un statut antérieur plutôt que de créer un droit nouveau.
L’arrêt du Conseil d’État du 22 juin 1990 (n°76455) a confirmé qu' »un décret de naturalisation peut avoir un effet déclaratif et non constitutif dans les situations post-coloniales complexes. »
👉 2- L’instruction du Ministère de la Justice n°79-03 du 31 janvier 1979 a formalisé la théorie administrative de la « naturalisation en surabondance », qui intervient « lorsqu’une personne qui possède déjà la nationalité française ou y a droit demande sa naturalisation pour confirmer formellement ce droit. »
Cette pratique administrative permettait aux personnes dont la situation était juridiquement incertaine en raison des évolutions législatives post-coloniales de sécuriser leur statut par un acte formel. C’est précisément le cas de TIDJANE THIAM.
L’arrêt du Conseil d’État du 10 décembre 1982 (n°11604, Diop) a explicitement reconnu que « les ressortissants des territoires d’outre-mer qui avaient le statut particulier d’originaires des Quatre Communes conservaient un lien juridique avec la nationalité française malgré l’absence de déclaration formelle lors des indépendances. » Cette jurisprudence s’applique directement au cas de TIDJANE THIAM en tant que fils d’un originaire des Quatre Communes.
👉 3- La présence de la mention « NAT » (pour « naturalisation ») sur le décret de 1987 ne préjuge en rien de sa nature juridique réelle. La circulaire d’application du 12 mars 1973 relative à la publication des décrets concernant la nationalité précisait que « la mention ‘NAT’ est utilisée comme abréviation administrative standardisée tant pour les naturalisations que pour les réintégrations. »
La circulaire n°79-03 du 31 janvier 1979 confirmait que « pour des raisons de simplicité administrative, les mentions abrégées ‘NAT’ pour les naturalisations et réintégrations ordinaires et ‘EFF’ pour les effets collectifs doivent être utilisées dans les références des décrets. »
L’instruction générale du 26 juin 1986 sur l’état civil, contemporaine du décret concernant TIDJANE THIAM, précisait que « la mention ‘NAT’ dans la référence d’un décret n’a qu’une valeur administrative et ne préjuge pas de la nature juridique de l’acte, qui peut être constitutif ou déclaratif selon les circonstances. »
👉 4- Si TIDJANE THIAM avait un droit préexistant à la nationalité française, pourquoi a-t-il eu recours à la procédure par décret plutôt qu’à la procédure simplifiée de déclaration ?
La réponse se trouve dans les dispositions précises du Code de la nationalité française applicable en 1987.
L’examen des articles 154 à 156 du Code révèle qu’aucune de ces dispositions ne permettait à TIDJANE THIAM d’accéder à la procédure par déclaration. En effet ces articles se limitaient la réintégration par déclaration aux femmes ayant perdu la nationalité française par mariage d’une part, et visaient d’autre part les personnes ayant perdu la nationalité française pour avoir occupé un emploi public à l’étranger.
𝐂𝐞𝐬 𝐞́𝐥𝐞́𝐦𝐞𝐧𝐭𝐬 𝐫𝐞́𝐟𝐮𝐭𝐞𝐧𝐭 𝐜𝐥𝐚𝐢𝐫𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐥’𝐚𝐥𝐥𝐞́𝐠𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐬𝐞𝐥𝐨𝐧 𝐥𝐚𝐪𝐮𝐞𝐥𝐥𝐞 𝐓𝐈𝐃𝐉𝐀𝐍𝐄 𝐓𝐇𝐈𝐀𝐌 𝐚𝐮𝐫𝐚𝐢𝐭 𝐬𝐢𝐦𝐩𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 « 𝐚𝐜𝐪𝐮𝐢𝐬 » 𝐥𝐚 𝐧𝐚𝐭𝐨𝐨𝐧𝐚𝐥𝐢𝐭𝐞́ 𝐟𝐫𝐚𝐧𝐜̧𝐚𝐢𝐬𝐞 𝐩𝐚𝐫 𝐧𝐚𝐭𝐮𝐫𝐚𝐥𝐢𝐬𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧 𝐨𝐫𝐝𝐢𝐧𝐚𝐢𝐫𝐞. 𝐀𝐮 𝐜𝐨𝐧𝐭𝐫𝐚𝐢𝐫𝐞, 𝐢𝐥𝐬 𝐝𝐞́𝐦𝐨𝐧𝐭𝐫𝐞𝐧𝐭 𝐪𝐮𝐞 𝐥𝐞 𝐝𝐞́𝐜𝐫𝐞𝐭 𝐝𝐞 1987 𝐚𝐯𝐚𝐢𝐭 𝐮𝐧𝐞 𝐧𝐚𝐭𝐮𝐫𝐞 𝐞𝐬𝐬𝐞𝐧𝐭𝐢𝐞𝐥𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐝𝐞́𝐜𝐥𝐚𝐫𝐚𝐭𝐢𝐯𝐞, 𝐞𝐭 𝐧𝐨𝐧 𝐜𝐨𝐧𝐬𝐭𝐢𝐭𝐮𝐭𝐢𝐯𝐞 ; 𝐯𝐞𝐧𝐚𝐧𝐭 𝐫𝐞𝐜𝐨𝐧𝐧𝐚𝐢̂𝐭𝐫𝐞 𝐟𝐨𝐫𝐦𝐞𝐥𝐥𝐞𝐦𝐞𝐧𝐭 𝐮𝐧 𝐝𝐫𝐨𝐢𝐭 𝐩𝐫𝐞́𝐞𝐱𝐢𝐬𝐭𝐚𝐧𝐭 𝐚̀ 𝐥𝐚 𝐧𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧𝐚𝐥𝐢𝐭𝐞́ 𝐟𝐫𝐚𝐧𝐜̧𝐚𝐢𝐬𝐞 𝐩𝐚𝐫 𝐟𝐢𝐥𝐢𝐚𝐭𝐢𝐨𝐧.
Cette distinction fondamentale, 𝐜𝐨𝐧𝐟𝐢𝐫𝐦𝐞́𝐞 𝐩𝐚𝐫 𝐥𝐚 𝐣𝐮𝐫𝐢𝐬𝐩𝐫𝐮𝐝𝐞𝐧𝐜𝐞 𝐝𝐮 𝐂𝐨𝐧𝐬𝐞𝐢𝐥 𝐝’𝐄́𝐭𝐚𝐭 𝐞𝐭 𝐥𝐞𝐬 𝐢𝐧𝐬𝐭𝐫𝐮𝐜𝐭𝐢𝐨𝐧𝐬 𝐦𝐢𝐧𝐢𝐬𝐭𝐞́𝐫𝐢𝐞𝐥𝐥𝐞𝐬 de l’époque, établit que TIDJANE THIAM n’a pas acquis une nationalité nouvelle mais a fait reconnaître officiellement celle qui lui revenait déjà.
Par conséquent, les dispositions de l’article 48 et suivants du Code de nationalité ivoirienne, qui concernent la perte de nationalité suite à l’acquisition volontaire d’une nationalité étrangère, ne sauraient s’appliquer à sa situation. En effet, on ne peut perdre ce qu’on acquiert volontairement, mais uniquement ce qu’on ne possédait pas déjà par droit. La reconnaissance formelle d’un statut préexistant par « naturalisation en surabondance » ne constitue pas une acquisition au sens de l’article 48, et ne peut donc entraîner la perte automatique de la nationalité ivoirienne.
M Allepot