APRNEWS: « Illusion macroéconomique en Côte d’Ivoire » par Mamadou Koulibaly
Lorsque les comptes nationaux sont maquillés pour tromper . Il n'y a guère de magie ou de miracles en économie, mais il faut reconnaître que les réalisations économiques de la Côte d'Ivoire ces dernières années relèvent indubitablement du tour de passe-passe. Pourquoi ? Des réponses ci-dessous :
1) QUELLE QUESTION CE GOUVERNEMENT CHERCHE-T-IL À RÉSOUDRE ?
La croissance économique est en principe le résultat de l’amélioration des facteurs de production comme le capital, le travail, la productivité, grâce, par exemple, à la technologie ou une meilleure qualité des travailleurs. Cette recette a fait le succès de tous les pays développés y compris des dragons asiatiques et d’autres économies de marchés émergents.
Par contraste, le gouvernement de Côte d’Ivoire lui parait préoccupé par une toute autre équation : comment faire croître le PIB sans qu’aucun effort des capacités de production en soit la cause ?
REPONSE DU GOUVERNEMENT : il faut faire un rebasage des comptes nationaux.
2) COMMENT PROCÉDER ?
Le gouvernement de Côte d’Ivoire décide en 2016 de faire croître le PIB par des artifices comptables.
Il élabore un projet dans ce sens et l’adopte en conseil des ministres en janvier 2017.
Les statistiques nationales jusque-là basées sur l’année 1996, devenue trop éloignée, seront désormais « rebasées » (comprenez recalculées) sur l’année 2015 plus proche. Ainsi, les comptes nationaux de 2016 et 2017 seront reparés sur cette nouvelle base, de même que les comptes provisoires de 2018.
Le projet est vendu avec succès auprès du Programme Statistique Régional (PSR)de I’UEMOA qui le finance.
Il bénéficie de l’assistance technique d’AFRITAC de l’Ouest (une initiative du Fonds Monétaire International pour répondre aux demandes de dirigeants ouest-africains désireux d’obtenir plus d’assistance technique), d’AFRISTAT (Observatoire économique et statistique d’Afrique subsaharienne), de la Banque Africaine de Développement (BAD), de la Commission Economique pour l’Afrique (CEA) et de la Banque Mondiale.
Il faut dire que le rebasage des comptes nationaux est une méthode tout à fait orthodoxe et acceptable pour présenter des chiffres plus actualisés non seulement en termes monétaires (inflation) mais également qualitatifs, par exemple lorsque le pays produit des biens et services plus complexes et/ou de meilleure qualité.
D’ailleurs, pour ces raisons, le système de comptabilité nationale de l’ONU juge utile, sur le principe, un rebasage tous les 5 ans. Ce qui est singulier dans le cas de la CI c’est le choix des facteurs d’actualisation retenus par le gouvernement ivoirien.
3) LE DEROULEMENT DU PROJET
Des enquêtes spécifiques sont menées pour attribuer des valeurs plus importantes ou inventées à certains secteurs d’activités considérés comme mal évalués et pour identifier des branches d’activités non encore prises en compte. Au final, l’ensemble de ces revalorisations, nouveautés et inventions permettent l’accroissement direct de notre PIB de plusieurs centaines de milliards de FCFA.
Appréciez par vous-même :
Après deux mois d’enquêtes GouvCI réévalue les marges des commerçants et des transporteurs qui voient la valeur ajoutée de leur secteur augmenter de 237%, passant de 2.093 milliards de FCFA à 7.049 milliards de FCFA, à verser dans le PIB.
Une enquête sommaire permet de réévaluer la valeur ajoutée du secteur des transports informels (entendez Gbakas, Woro-woro, moto-taxis, taxis, etc.) avec une hausse de 385% passant de 513 milliards de FCFA à 2.489 milliards de FCFA, à verser dans le PIB.
GouvCI découvre l’activité d’une branche nouvelle, plus exotique, une vraie pépite, dite branche des professionnels du sexe (aussi connu sous le nom de « plus vieux métier du monde ») dont la consommation finale par les ménages est estimée en 2015 à 240 milliards de FCFA, à verser dans le PIB.
Une autre enquête auprès cyber-cafés, cabines téléphoniques et autres téléboutiques, aurait permis de cerner leurs comptes de production et d’exploitation (non, ce n’est pas une blague), et leur nombre d’employés. Elle conduit à une revalorisation de la valeur ajoutée des activités des téléboutiques à la hausse de 85%, passant de 93milliards de FCFA à 171 milliards de FCFA, à verser dans le PIB.
On fabrique de nouvelles structures de production et de nouveaux comptes d’exploitation pour le secteur informel ce qui permet de lui attribuer une hausse substantielle de sa valeur ajoutée, que l’on versera dans le PIB.
On intègre la production et les comptes d’exploitation des mouvements associatifs, des ONG, des confessions religieuses, des partis politiques, etc., pour trouver à ces Institutions Sans But Lucratif une hausse de leurs dépenses de consommation qui passent ainsi de 79 milliards de F CFA à 162 milliards de FCFA, à verser dans le PIB.
Last but not least, on découvre également, après une étude des plus sérieuses, que la production, la consommation, la commercialisation et le trafic international de stupéfiants et de drogues participent pour une valeur ajoutée de 383 milliards de FCFA dont une importation de 158 milliards de FCFA, à verser dans le PIB.
4) POUR QUELS RESULTATS EN 2018 ?
Ces différentes estimations de valeurs ajoutées permettent de recalculer les PIB de 2015, 2016 et 2017 et de projeter celui de 2018.
Le PIB étant la somme des valeurs ajoutées sur une année, sa valeur passe pour l’année 2015 de 19.595 milliards FCFA sous l’ancienne base à 27.086 milliards FCFA sous la nouvelle. C’est une hausse vertigineuse de plus de 38% sans que rien n’ait changé dans la structure, la nature, la productivité et la compétitivité de notre économie.
Ainsi, le PIB de 2016 passe lui aussi, entre l’ancien calcul et le nouveau, de 20.931,4 milliards FCFA à 28.423,9 milliards FCFA soit une hausse de près de 36%.
Ainsi, le PIB de 2017 passe aussi, entre l’ancien calcul et le nouveau, de 22.150,8 milliards FCFA à 29.955 milliards FCFA soit une hausse de près de 35%.
Ainsi, le PIB de 2018 passe aussi, entre l’ancien calcul et le nouveau, de 23.899,8 milliards FCFA à 32.063 milliards FCFA soit une hausse de près de 34%.
5) QUELLES SONT LES CONSEQUENCES DE CES HAUSSES ?
L’annulation de 38,2% de la dette par l’initiative PPTE en 2012 a fait passer le stock de la dette extérieure de 6264 milliards à 2393 milliards.
Ces manipulations successives et majeures de la croissance du PIB sur ces quatre années [associées à l’effacement de 38,2% de la dette exterieure en 2012, grâce à l’initiative pour les PPTE], propulse la CI en 2018 dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire de tranche inférieure puisqu’elle remplissait désormais les conditions pour quitter le groupe des pays endettés et pauvres. Et voilà ! le tour (de passe-passe) est joué.
À défaut d’avoir tenu sa promesse de 2012, de faire de la Côte d’Ivoire un pays émergent à l’horizon de 2020, le gouvernement a fabriqué des chiffres artificiels pour doper le PIB et obtenir un changement de classement auprès du FMI et de la Banque mondiale. Ça s’appelle le « creative accounting » ; un terme qu’on pourrait traduire en français par la « comptabilité inspirée ». On reste admiratif devant l’ingéniosité et la créativité de ce gouvernement, illusionniste professionnel, qui dédie tous ses efforts à la propagande et à enfumer en jetant de la poudre aux yeux. L’art du boniment, il connait ! Dans ce domaine, il excelle et n’a point d’égal dans l’histoire de notre pays.
6) PAYS À REVENU INTERMEDIAIRE DE LA TRANCHE INFÉRIEURE : ET APRЀS ?
Vous la devinez. Une opération du même genre, selon les mêmes techniques, est sans doute prévue pour préparer l’entrée de la Côte d’Ivoire à l’horizon 2030, dans la catégorie des pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure.
Mais cette fois l’on n’oubliera pas de prendre en compte les mines sans limites des secteurs du racket sur les routes, du blanchiment d’argent, des détournements de fonds publics, des surfacturations de marchés publics, des paiements pour corruption aux examens et concours d’entrée dans grandes écoles qui préparent aux hautes fonctions d’Etat. Il y a là de bons paquets de milliards qui viendraient propulser le PIB de la Côte d’Ivoire.
L’art et la manière du trompe l’œil !
PS : C’est quoi la « creative accounting » ? « La comptabilité créative, dite aussi comptabilité inspirée, suit les pratiques comptables conformes aux lois et réglementations, mais exploite les failles des normes comptables pour donner une image financière faussement améliorée d’une entreprise. »
#Mamkoul #TTMK