APRNEWS : Femmes et santé mentale
APRNEWS - Lorsque les décideurs en matière de santé publique et de politiques de santé s’interrogent sur la santé de la femme, la tendance consiste en tout premier lieu à associer le bien-être des femmes à celui des enfants et de la famille et, de façon tout à fait légitime, à la santé de la société d’une manière générale.
APRNEWS – Bien que cette perspective soit fondée, du fait qu’il a été largement démontré que la santé de la femme avait des répercussions positives sur la santé générale de l’ensemble des membres de la société, il est très courant que les décideurs en matière de politique de santé se focalisent essentiellement sur la santé maternelle et de l’enfant. Dans le cadre de ces politiques, la santé de la femme est souvent définie comme étant la santé génésique, identifiée à la santé des enfants des femmes. Les efforts en termes de planning familial, inspirés de la théorie selon laquelle la surpopulation est un obstacle majeur au développement, ont incité la distribution de contraceptifs dans le but de réduire la fertilité mais en ignorant souvent les besoins des femmes en termes d’information et de contrôle sur les processus de reproduction. Plus récemment, des essais cliniques de l’AZT au cours de la grossesse, se sont concentrés sur la réduction de la transmission du VIH des mères infectées à leurs nouveau-nés mais les contraintes financières ont limité les efforts pour fournir de l’AZT aux mères après la grossesse.
Ces efforts en vue d’améliorer la santé des enfants des femmes par des programmes qui touchent la santé de la femme sont louables. Cependant, au cours de la dernière décennie, du fait que les femmes ont commencé à exercer une plus grande influence sur la formation en termes de politique de santé, des questions sur ces tendances se sont posées. Au début, les femmes demandaient « Où se trouve le « M » dans les programmes SMI (santé maternelle et infantile) ? ». « Et qu’en est-il des programmes conçus pour répondre aux besoins des femmes en tant que femmes de même qu’en tant que mères ? ». Ces questions remettent en cause les politiques de santé traditionnelles qui se concentrent essentiellement sur les programmes SMI. Un appel pour une définition de la santé de la femme qui comprendrait bien plus que la santé génésique et maternelle, intégrant la santé mentale et physique tout au long de la vie, a été exprimé à de nombreuses reprises au cours de ces dernières années. Comme les théoriciens féministes viennent de le démontrer, le bien-être des femmes « n’est pas uniquement déterminé par les facteurs biologiques et la reproduction mais également par les incidences de la charge de travail, de l’alimentation, du stress, de la guerre, de l’immigration ». L’intégration d’un souci de parité entre les sexes dans le secteur de la santé requiert une définition plus large de la santé de la femme ainsi que de l’homme, qui traiterait du bien-être tout au long de la vie, aussi bien dans le domaine de la santé physique que dans celui de la santé mentale. L’intégration d’un souci de parité entre les sexes doit être associée à l’intégration des questions relatives à la santé mentale, du fait que les femmes souffrent de façon disproportionnée des troubles mentaux et sont plus fréquemment exposées aux causes sociales qui débouchent sur la maladie mentale et la détresse psychique.
Les données épidémiologiques et anthropologiques démontrent davantage de modèles et de groupes de troubles psychiatriques et de détresse psychique chez la femme que chez l’homme. L’origine de la majorité des douleurs et souffrances, tout particulièrement chez la femme, remonte aux circonstances sociales de la vie de la plupart d’entre elles. La dépression, le désespoir, l’épuisement, la colère et la peur proviennent de la famine, dU surmenage, de la violence domestique et civile, du fait de se sentir prise au piège et de la dépendance économique. La compréhension des sources de la mauvaise santé des femmes signifie comprendre la façon dont les forces culturelles et économiques interagissent pour rabaisser leur condition sociale. Si l’objectif consiste à améliorer le bien-être de la femme de l’enfance à la vieillesse, des politiques « sanitaires » ayant pour but d’améliorer le statut social de la femme sont nécessaires, parallèlement à des « politiques en matière de santé » comprenant l’ensemble des besoins de la femme en termes de santé. Ceci suppose des idéologies étatiques qui tiennent compte de la parité entre les sexes et qui encouragent l’investissement dans la santé de la femme de façon large, de l’instruction à la responsabilisation économique, au moyen de mécanismes juridiques et politiques qui permettent d’améliorer la condition de la femme. Il convient donc également de déployer des efforts concertés en vue d’améliorer et de valoriser les prestations sociales et de santé mentale ainsi que les compétences de professionnels et de créer des programmes parallèlement à l’amélioration de l’ensemble des prestations de santé. Avant de passer à l’examen plus approfondi des implications des politiques, j’aimerais vous donner un bref aperçu du groupe de problèmes dans le cadre de la santé mentale, auquel se trouvent confrontés les décideurs impliqués dans l’intégration d’un souci de parité entre les sexes dans les politiques en matière de santé et les idéologies étatiques.
Bref aperçu sur les troubles psychiatriques et la détresse psychosociale
Troubles psychiatriques
Une analyse comparative des études empiriques sur les troubles mentaux révèle une certaine cohérence entre les différentes sociétés et les contextes sociaux : les symptômes de la dépression et de l’angoisse ainsi que les troubles psychiatriques et la détresse psychique non spécifiés apparaissent davantage chez la femme, alors que les troubles liés à l’usage des drogues sont plus fréquents chez l’homme. Les données sur les années de vie adaptées au handicap, récemment calculées par la Banque Mondiale, reflètent ces différences. Les troubles de la dépression représentent près de 30% des handicaps du fait de troubles neuropsychiatriques chez la femme mais uniquement 12,6% chez l’homme. A l’inverse, la dépendance à l’alcool ou à la drogue représente 31% des handicaps neuropsychiatriques chez l’homme mais ne représente que 7% des handicaps chez la femme. Ces modèles de dépression et de détresse psychique générale ainsi que les troubles liés à l’usage des drogues sont largement étayés dans de nombreuses études quantitatives réalisées par les sociétés dans le monde. (Voir Desjarlais et al. [1995], chapitre 8, pp 179-206, pour un examen des résultats de recherche dans de nombreuses études). Les explications proposées au sujet des inégalités entre les sexes dans le cadre de la morbidité psychiatrique en Asie, en Afrique, au Moyen-Orient et en Amérique Latine ont établi des parallèles entre la pauvreté, l’isolement et la morbidité psychiatrique chez la femme en Europe Occidentale et aux Etats-Unis (voir Dennerstein et al. 1993). Dans une étude devenue classique de Brown et Harris (1978), il a été démontré que la dépression était plus fréquente chez les femmes dans la classe ouvrière que dans la classe moyenne vivant à Londres. Il a été démontré que la femme pauvre vivait de plus en plus d’événements graves dans sa vie que la population générale (Brown et al. 1975; Makosky 1982). Elles sont plus à même de devoir traiter les sources chroniques du stress social tel que le logement de mauvaise qualité et le voisinage dangereux (Makosky 1982 ; Pearlin and Johnson 1977). Elles courent plus de risques d’être victimes de la violence (Belle 1990 ; Merry 1981) et elles sont tout particulièrement vulnérables à rencontrer des problèmes dans le cadre parental et les soins apportés aux enfants (Belle et al. 1990). La pauvreté use également l’intimité et autres relations personnelles (Cherlin 1979 ; Wolf 1987). En fait, les réseaux sociaux peuvent représenter un stress supplémentaire pour les femmes démunies de même que des sources d’appui (Belle 1990). Cette disparité entre les sexes a amené certains chercheurs à affirmer que l’homme avait tendance à extérioriser sa souffrance par l’abus de drogues et un comportement agressif, déclarant ainsi moins de détresse psychique. La femme, par contre, souffre plus souvent de détresse sous forme de dépression, d’angoisse, de nervosité, ou d’autres troubles.
Origines sociales de la détresse
La recherche ethnographique et les descriptions de cas ont permis d’enrichir les résultats quantitatifs de ces études de prévalence sur la morbidité psychiatrique, en développant le contexte social de la dépression, la dépendance et le désespoir et la dimension de la disparité entre les sexes de ces groupes épidémiologiques de détresse sociale et psychologique. Les groupes comprennent les troubles liés au stress post-traumatique et les troubles dissociatifs, la dépression et la sociopathie et les autres maladies mentales qui sont fortement associées aux ruptures et aux problèmes sociaux, tels que les conflits civils, la violence domestique, la violence de la rue, la désintégration communautaire, l’abus de drogues et l’échec familial. De nombreuses études de cas illustrent la configuration de ces groupes socio-psychologiques. Das, par exemple, raconte les événements dans la vie d’une femme indienne à la suite de la perte de son mari et de ses trois fils au cours d’une émeute ethnique, montrant comment la communication subtile de la responsabilité de la famille de son mari a abouti à sa propre culpabilité pour culminer par le désespoir et finalement le suicide. Les liens entre les privations économiques, la mort d’un enfant, la dépossession émotionnelle et la détresse psychique chez la femme ont également été étayés dans de nombreuses études anthropologiques, y compris des travaux récents effectués au Brésil, au Mexique et au Pakistan.
L’anthropologie offre également une approche alternative à la compréhension de l’expérience et de l’expression de la détresse émotionnelle. En complétant la perspective épidémiologique ou clinique par une perspective ethnographique, nous pouvons découvrir que la douleur psychologique ne s’exprime pas nécessairement sous forme de « dépression » ou « d’angoisse » mais dans les dialectes locaux de la détresse par des termes tels que — « nerfs », « attaque », « coeur lourd » et l’intrusion « d’esprits » non souhaités — dans des études réalisées dans les sociétés d’Amérique du Sud et du Nord, de la région méditerranéenne, d’Afrique et d’Asie et du Moyen-Orient. On trouve toujours une fréquence plus élevée de ces troubles chez la femme. Une attention particulière aux significations sociales et culturelles associée aux plaintes relatives aux « nerfs » fait souvent ressortir les conflits pour le pouvoir, les abus et l’oppression dans les familles et les communautés. Ces résultats apparaissent dans des études réalisées dans des lieux aussi divers que la Somalie, l’Iran, la Malaisie et parmi les ressortissants d’Amérique Centrale qui sont des réfugiés ayant fui les conflits civils et les échecs sociaux et qui vivent actuellement aux Etats-Unis.
La pauvreté, l’isolement domestique, l’impuissance (provenant, par exemple, des faibles niveaux d’instruction et de la dépendance économique) et l’oppression patriarcale sont tous associés à une prévalence supérieure de la morbidité psychologique chez la femme. En bref, un nombre considérable de preuves met en relief les origines sociales de la détresse psychique chez la femme. Dans les chapitres intitulés « Femmes » et « Violence » du rapport sur la Santé Mentale Mondiale (1995), nous avons également examiné les questions relatives à la famine, à la pauvreté et à le surmenage, à la violence sexuelle et génésique, à la violence domestique, civile et d’état et aux importantes répercussions nuisibles de certaines politiques économiques gouvernementales, telles que les programmes d’ajustement structurel et les crises monétaires sur la santé mentale et le bien-être général de la majorité des femmes (voir Santé Mentale Mondiale 1995 pour les résumés des données). Les conclusions de ces examens sont réellement affligeantes. La malnutrition dans de nombreuses régions du monde apparaît davantage chez les filles que chez les garçons, montrant une disparité entre les sexes même dans les modèles traditionnels d’infanticide et les nouveaux choix en matière de sexe du foetus, par avortement sélectif.
Dans le monde du travail, nous trouvons que l’emploi peut apporter le respect de soi et l’indépendance. Cependant, le travail faiblement rémunéré ou non rémunéré peut contribuer à l’oppression plutôt qu’à l’indépendance. De nombreuses femmes travaillent « une double journée » en se chargeant de l’entretien de leurs maisons, en élevant les enfants, en ayant des activités productives économiquement dans les domaines du marketing et de l’agriculture et dans les industries artisanales. De nombreuses études appuient le fait que les femmes « travaillent » plus d’heures que leurs maris dû à la grande diversité de leurs responsabilités économiques et ménagères. Le surmenage peut déboucher sur l’épuisement et le stress. De plus, la traite mondiale et locale des femmes pour le commerce du sexe ainsi que les servitudes ménagères piègent les femmes, débouchant sur des taux élevés de maladie mentale. La violence sexuelle et génésique, ainsi que le viol pendant les guerres, la violence ethnique et les conflits civils, frappent les femmes de façon disproportionnée. La violence domestique intense et continue a été documentée dans pratiquement tous les pays au cours de la dernière décennie. La Banque Mondiale (1993) estime que les conséquences des abus familiaux et communautaires représentent environ 5% du poids total de la maladie chez la femme au cours des années de reproduction. Ces abus sont souvent associés à la dépression, aux troubles dissociatifs et au suicide.
Il a fallu la « Décennie de la femme » des Nations Unies pour commencer à montrer aux yeux du monde les rôles productif et génésique de la femme. De nombreuses politiques de développement et plus récemment en Asie, les politiques monétaires en vue de soulager les dettes des riches et les crises monétaires qui s’ensuivirent, ont durement touché la femme dans les secteurs du marketing traditionnel, de l’agriculture et même dans les secteurs gouvernementaux et commerciaux. Cependant, la sensibilisation mondiale des Nations Unies a engendré un certain nombre de programmes qui permettent aux femmes d’être productives, de contrôler leur travail, leurs moyens de production et leurs revenus. Les programmes qui sont adaptés aux opinions, aux besoins et aux espoirs des femmes pour l’avenir, pour elles-mêmes et leur famille et qui permettent aux femmes de contrôler les ressources économiques et sociales/politiques ont des répercussions directes et bénéfiques sur la santé mentale des femmes. Ils ont également des répercussions indirectes, en protégeant les femmes des conditions d’oppression qui les exposent à des risques de maladie mentale et en leur offrant les moyens d’échapper aux situations de violence, d’esclavage et d’abus économique et sexuel.
Cette description des origines sociales qui sous-tendent les troubles psychiatriques peut être décourageante. Cependant, la résistance des individus et la capacité des gouvernements et des organisations communautaires à élaborer des politiques et des programmes en vue de traiter les besoins du malade psychiatrique et les origines sociales de la détresse psychique et psychosociale donnent de l’espoir et servent également d’exemple. Que peut-on faire ? Qu’a-t’il été accompli jusqu’à présent ? Quels efforts d’imagination pourraient servir de modèle et d’inspiration à de futures actions ?
Idéologies étatiques et politiques sanitaires qui tiennent compte de la parité entre les sexes :
intégration d’un souci de parité entre les sexes dans la politique de santé mentale
L’écoute des femmes
La reconnaissance de ce qu’il est possible de faire et de ce qui est fait en vue d’améliorer la condition et le bien-être de la femme est tout aussi important que la compréhension des origines sociales de la mauvaise santé de la femme. L’élaboration de politiques et de programmes compatibles avec des définitions plus larges de la santé nécessite d’écouter les femmes pour lesquelles ces programmes sont conçus et de faire entendre leurs préoccupations à toutes les étapes de la planification, de la mise en oeuvre et de la gestion. Le fait d’écouter les femmes qui utiliseront et qui composeront ces programmes permettra de maximiser la probabilité que les services fournis s’adapteront bien au cadre local et qu’ils seront par conséquent acceptables et utilisés. Il faut chasser le mythe selon lequel les femmes pauvres ne sont pas en mesure de parler pour elles-mêmes ou qu’elles ne pourront pas le faire.
Beaucoup de travail d’écoute local reste à effectuer, c’est-à-dire se rendre dans les communautés et parler avec les femmes de la façon dont elles vivent et sur leurs besoins en termes de santé et de santé mentale en particulier. Entre-temps, nous pouvons écouter le travail effectué par de nombreuses ONG et groupes de femmes qui ont mis sur pied des programmes en vue de défendre et d’encourager le bien-être général de la femme, tels que les récents efforts déployés par les organisations de femmes indonésiennes en vue de traiter les conséquences sur la santé mentale de la violence sexuelle perpétrée contre les femmes indonésiennes d’origine chinoise au cours des émeutes de mai 1998. Les ONG et les organisations féminines recherchent également les moyens de faire entendre les préoccupations des femmes ordinaires afin de nourrir leur famille et de prendre soin des malades pendant cette période stressante créée par la crise monétaire.
Le fait de s’appuyer sur les mouvements locaux et l’amélioration des forces à la base ouvrent la voie de l’amélioration de la condition et de la santé de la femme. Les initiatives locales abondent, en passant par les programmes d’alphabétisation des adultes en Inde aux mouvements de base dans les communautés de femmes locales à travers le monde, en vue de résister à l’oppression et d’organiser et de restructurer les programmes de santé communautaires.
Le point de vue des personnes ayant contribué au Conseil National de 1991 pour la Conférence internationale sur la santé des femmes représentent également un vaste horizon. Les recommandations de la conférence ont pour objectif la responsabilisation générale des femmes et comprennent (1) l’élaboration de lignes directrices relatives à la santé et au bien-être de la femme et l’évaluation des progrès réalisés, (2) la création de moyens permettant de contrôler les répercussions des programmes d’ajustement structurel sur le bien-être des femmes et l’établissement de programmes en vue d’atténuer leurs effets négatifs, (3) la mise en oeuvre ou la promulgation de lois permettant d’améliorer la condition de la femme, (4) le traitement des besoins des femmes pour un emploi et un développement économique équitables et (5) le développement de l’instruction aux femmes et aux filles.
Les efforts tant sur le plan international que local sont essentiels mais pour qu’ils puissent être aussi efficaces que possible, les deux doivent aller de pair, ce qui peut prendre diverses formes. « L’écoute » mentionnée ci-dessus en constitue l’une des formes ; les bailleurs de fonds exogènes recherchant à améliorer la santé et le « développement » doivent le faire non seulement en ayant écouté mais également en faisant entendre les participants et bénéficiaires prévus de ces programmes. Pour les femmes, ceci signifie être partenaires dans le processus d’intégration d’un souci de parité entre les sexes dans le cadre de la politique de santé et des programmes de développement. L’appui international aux initiatives locales représente un autre mécanisme d’union. Troisièmement, il convient d’apprendre des programmes locaux et de les utiliser comme modèles ou inspiration créatrice en vue de concevoir de nouvelles initiatives.
Politiques sanitaires et politiques en matière de santé mentale
Il est possible de faire la distinction entre politiques en matière de santé et politiques « sanitaires » au niveau de l’Etat. Les politiques sanitaires sont les programmes gouvernementaux qui, bien que n’ayant pas pour objectif spécifique de lutter contre la maladie et les troubles, ont toutefois des conséquences bénéfiques sur la santé. Les politiques sanitaires pour les femmes sont appuyées par les idéologies étatiques qui tiennent compte de la parité entre les sexes et qui permettent d’améliorer le statut culturel, politique et juridique de la femme en légitimisant un investissement public équitable pour la protection de la femme ainsi que de l’homme. Les pays ayant des idéologies d’équité entre les sexes sont plus à même d’instruire les femmes presque autant que les hommes et d’offrir aux femmes une protection juridique, des droits politiques et des possibilités économiques, que les pays qui n’encouragent pas cette égalité. Bien que le fait de favoriser l’égalité entre les sexes dans les idéologies étatiques nécessite la mobilisation de la volonté et de l’action politiques, de même que de prêter attention au point de vue et à la participation des femmes, les répercussions sur le bien-être de la femme et, par conséquent, sur le bien-être de la société d’une manière générale, sont considérables.
Il est possible d’élaborer de différentes façons des politiques en matière de santé qui intègrent la santé mentale dans le cadre de la santé publique et traitent des besoins et des préoccupations de la femme, de l’enfance jusqu’à la vieillesse, en vue d’intégrer davantage le souci de parité entre les sexes. Les considérations d’ordre éthique et les compétences des médecins sont essentielles à l’élaboration de programmes de santé intégrés, en mesure de réparer le traumatisme d’un viol, les stigmates de la violence sexuelle ou domestique, la dépression du fait de l’isolement ou l’oppression des femmes ainsi que l’angoisse de manquer. L’effet sur les mères des taux élevés de mortalité des nouveau-nés ou des enfants et des taux élevés d’infection VIH touchant de nombreux membres de la famille à travers les générations représente l’une des conséquences les plus inquiétantes sur la santé mentale dans le cadre de la santé générale des communautés. Des cliniciens hautement qualifiés ainsi que des programmes plus larges sont nécessaires pour traiter les expériences de vie extrêmement dures des femmes qui doivent faire face à des décisions relatives à l’utilisation des rares ressources familiales ou à la planification des soins des enfants qui peuvent devenir orphelins du fait de VIH familial.
Bien que les racines sociales de la plupart de ces problèmes signifient qu’ils ne peuvent être simplement réparés par des soins médicaux, le fait d’ignorer le rôle potentiel du système de santé en vue d’aider les femmes dans le besoin signifierait qu’une société ne souhaite pas investir de ressources dans la santé des femmes. Il convient d’évaluer les institutions d’enseignement de la santé, telles que les écoles de médecine et les programmes de formation des travailleurs de la santé et de traiter les barrières au traitement de la maladie mentale et les conséquences de la violence. La communication entre les travailleurs de la santé, les médecins et les patientes (et souvent également les patients) est connue pour son côté autoritaire un peu partout dans le monde, quel que soit le sexe du médecin ou du travailleur de la santé, ne facilitant pas au patient, parfois stigmatisé, la divulgation de sa détresse psychique ou les conséquences de la violence sexuelle. L’évaluation de la formation et l’amélioration des compétences des médecins et des travailleurs de la santé dans le cadre des soins primaires, en vue de traiter les conséquences de la violence domestique, des abus sexuels, de la détresse psychique et des troubles mentaux, peuvent se faire parallèlement à l’examen de ce que la femme souhaiterait obtenir idéalement de la part des prestataires de soins.
Les politiques en matière de santé parrainées sur les plans international et national doivent également relever le défi de l’élaboration de réponses morales mais « sensibles culturellement » aux pratiques risquées pour la santé émotionnelle et physique des femmes et des filles (telles que l’excision, l’infanticide féminin, l’avortement en fonction du sexe et les pratiques alimentaires qui sont discriminatoires à l’égard des fillettes). Il est possible de partiellement résoudre ces dilemmes en offrant un soutien aux mouvements de santé publique locaux et aux efforts déployés à la base.
Les politiques en matière de santé et les programmes d’accompagnement de la recherche en matière de santé peuvent avoir un effet de levier permettant de mobiliser la volonté et la participation politiques et d’encourager le changement des politiques contrôlées par d’autres secteurs gouvernementaux. Des études appuient continuellement le fait qu’il existe des relations puissantes entre la santé de l’ensemble de la société et l’instruction des femmes, ce qui ne représente qu’un exemple parmi tant d’autres. Les preuves démontrant que l’instruction des femmes représente le seul facteur le plus important permettant d’améliorer la santé des nouveau-nés et des enfants et des hommes également, sont accablantes. Il s’agit même d’un facteur permettant de réduire la consommation d’alcool chez les maris (ce qui, par conséquent, permettra de réduire le comportement brutal de l’homme). Des analyses similaires des liens entre les injustices juridiques (telles que la discrimination à l’égard des femmes dans les familles et la loi criminelle) et la violence sexuelle et domestique et leurs conséquences sur la santé des femmes et de leur famille, en sont encore une preuve. Le lien qui existe entre la santé et l’accès aux ressources et aux possibilités économiques et leur contrôle, constitue encore un autre exemple.
Il convient d’élaborer des politiques en matière de santé et des politiques « sanitaires » et de fournir les moyens d’encourager des idéologies étatiques d’équité entre les sexes qui déboucheraient sur l’intégration d’un souci de parité entre les sexes dans le secteur de la santé. Il existe également de nombreuses initiatives spécifiques dans le domaine de la santé mentale qui exigent une attention concertée de la part de la communauté des chercheurs, des agences internationales et des gouvernements locaux. Les recommandations suivantes ne proposent pas de recettes pour l’élaboration de solutions spécifiques mais suggèrent des moyens qui reconnaissent les complexités de la création de politiques en matière de santé mentale et enfin, permettent l’intégration d’un souci de parité entre les sexes dans le secteur de la santé en reconnaissant les préoccupations de toutes les personnes les plus réellement touchées par ce type de problème.
Recommandations en vue de lancer des initiatives spécifiques dans le cadre des prestations et de la formation en matière de santé mentale
1. Améliorer le niveau de qualité des prestations en matière de santé mentale
Les prestations en matière de santé mentale ont un rôle essentiel à jouer pour soulager la souffrance associée aux maladies psychiatriques, à la détresse émotionnelle, aux troubles psychologiques et à la pathologie comportementale. Il est possible d’aider considérablement les femmes brutalisées, les enfants souffrant de troubles psychiques, les personnes traumatisées par la violence politique, les personnes qui ont tenté de se suicider ou les toxicomanes ou les alcooliques et tout particulièrement les personnes qui souffrent de maladies mentales aiguës ou chroniques, par des soins appropriés en matière de santé mentale. Nous avons vu comment les femmes souffraient de façon disproportionnée de maladies mentales telles que la dépression et l’angoisse et les troubles dissociatifs liés aux abus sexuels et il s’agit cependant de maladies pour lesquelles les cliniciens compétents peuvent le plus apporter leur aide. Du fait des progrès récents en matière de médicaments psychiatriques et de formes spécialisées d’interventions psychosociales, le potentiel de bénéfices est plus grand que jamais.
Malgré tout, les services en matière de santé dans la plupart des sociétés sont inappropriés. Les médecins bien formés sont rares, les médicaments et les interventions psychosociales n’existent pas ou sont de mauvaise qualité et même lorsque les compétences et les ressources existent, elles atteignent rarement les communautés dont les besoins sont plus importants. Les droits des malades mentaux sont souvent gravement compromis et la santé mentale est trop souvent associée à un contrôle social abusif. Des investissements financiers sont nécessaires pour des programmes durables et la créativité est essentielle à l’établissement de programmes qui lient les ressources locales aux connaissances professionnelles.
L’intégration d’un souci de parité entre les sexes dans le secteur de la santé mentale — par l’éducation des femmes à tous les niveaux de la société sur les possibilités des interventions de santé mentale et le potentiel de prestations et de programmes — est vitale à la réussite du l’élaboration d’un programme en matière de santé mentale. L’élaboration de programmes communautaires peut s’appuyer sur l’engagement de nombreuses femmes au sein de leurs communautés locales et sur leur engagement envers la santé communautaire et familiale. Il convient de compléter les prestations formelles en matière de santé mentale, en intégrant les politiques rationnelles en matière de psychotropes et d’apports fiables de réserves adéquates à des prix raisonnables (antidépresseurs, antipsychotiques et anticonvulsifs génériques sélectionnés), par des groupes de soutien non médicaux, des groupes de consommateurs et des institutions de santé qui offrent des soins vitaux dans de nombreuses communautés.
2. Encourager les efforts systématiques en vue d’élever le volume et la qualité de la formation en matière de santé mentale pour le personnel à tous niveaux, des étudiants en médecine aux médecins diplômés, des infirmiers aux travailleurs de la santé sur le plan communautaire
Il est vital pour les programmes en matière de santé mentale d’avoir un petit cadre de professionnels bien formés dans le domaine de la santé mentale : des psychiatres, des psychologues, des assistants sociaux et des infirmiers psychiatriques. Ce sont eux qui doivent diriger les efforts en vue d’établir les priorités en matière de santé mentale dans l’enseignement de la médecine et les politiques de santé. Il est essentiel de former les médecins, les infirmiers et les travailleurs de la santé pour les soins primaires, à la reconnaissance et à la soumission et/ou au traitement des cas de santé mentale, en vue d’étendre les services communautaires pour pouvoir répondre aux besoins. Une formation spécifique au diagnostic et à la prise en charge des états psychiatriques est essentielle à l’amélioration de la qualité des prestations en matière de santé mentale offerts en soins primaires. Du fait que les médecins communautaires dépendent souvent pratiquement exclusivement des agents des sociétés pharmaceutiques pour les nouvelles informations relatives aux médicaments, il convient de lancer des initiatives en termes de formation continue pour fournir une formation plus élémentaire dans l’utilisation plus sûre et plus efficace des psychotropes.
Avec une formation et un suivi appropriés, les travailleurs de la santé primaire non médecins peuvent apprendre à diagnostiquer, traiter et organiser des programmes de suivi pour une partie importante des cas de dépression, d’angoisse et d’épilepsie et peuvent, avec un contrôle approprié, prendre en charge des patients souffrant de schizophrénie chronique dans la communauté lorsque ce service social existe. L’OMS a créé des programmes de formation et démontré qu’ils pouvaient être utilisés efficacement dans des sociétés aussi différentes que celles de l’Inde, des Philippines et de la Tanzanie. Dans les sociétés dans lesquelles des non médecins offrent une grande partie des soins primaires, la formation spécialisée représente un moyen rentable d’améliorer et d’offrir des services en matière de santé mentale.
L’intégration d’un souci de parité entre les sexes devrait prendre en compte les intérêts des nombreuses professionnelles qui travaillent dans le domaine de la santé mentale en tant que psychiatres, infirmières psychiatriques, conseillères et assistantes sociales.
3. Encourager les efforts en vue d’améliorer les politiques étatiques en matière de parité entre les sexes, dans le but d’interdire la violence contre les femmes et de responsabiliser les femmes économiquement et afin que les femmes soient l’élément central de la planification des politiques et de la mise en oeuvre des prestations de santé mentale. La recherche doit évaluer les conséquences de ces programmes sur la santé mentale des femmes, des enfants et des hommes
Comme cela a déjà été mentionné, il est tout à fait prioritaire d’effectuer des recherches dans les domaines de la santé, de l’enseignement et du bien-être des femmes en vue d’améliorer la santé mentale des populations des pays à revenu faible et moyen. Le Rapport sur le Développement Mondial de 1993 de la Banque Mondiale montre clairement que l’instruction des femmes au niveau des écoles primaires est l’unique facteur le plus important pour leur santé ainsi que pour la santé de leurs enfants. Le Rapport sur la Santé Mentale Mondiale (1995) indique que l’instruction des femmes représente un investissement valable aussi bien pour la santé mentale des femmes que pour celle des hommes et des enfants. Cette instruction permet aux femmes d’être en mesure de moins tolérer la violence et les abus domestiques ou d’apprendre à ne pas dépenser une partie importante du revenu familial dans l’alcool ou les dettes de jeu de leurs maris. Les femmes instruites ont plus de chance d’être réceptives aux programmes publics en matière de santé et d’être plus engagées dans ces programmes, en tant que partenaires à part égale.
Les femmes dans le monde constituent la grande majorité des soignants en premier et dernier recours pour les membres handicapés chroniques de la famille, y compris les enfants mentalement attardés, les personnes âgées souffrant de démence et les adultes souffrant de grave maladie mentale. En bref, il est de l’intérêt social à long-terme de la communauté d’aider à supporter ce fardeau par des services formels en matière de santé. De plus, du fait que les femmes sont critiques vis à vis de la réussite des politiques en matière de santé, il convient d’encourager leur participation dans l’élaboration de politiques en matière de santé mentale, avec les gouvernements, les organisations internationales et les ONG, qui définissent des voies pour les femmes leur permettant d’avoir un rôle plus directif. Les groupes de femmes peuvent évaluer ces politiques non seulement en termes de leur appui à la santé mentale des femmes mais également en termes de qualité des prestations offertes aux femmes, aux enfants et aux hommes.
4. Encourager les initiatives en vue de traiter les causes et les conséquences de la violence collective et interpersonnelle
La violence collective et interpersonnelle représente l’un des problèmes les plus urgents actuellement dans le monde. Les guerres, les conflits prolongés, les luttes ethniques et la répression politique débouchent sur un traumatisme profond et des problèmes psychologiques qui persistent au-delà de la période de conflit et de violence. Bien que seuls de profonds changements des politiques internationales et nationales pourraient réduire les conflits armés, il convient d’encourager fortement les initiatives pour la paix et la sécurité. De plus, les programmes pour la paix et la sécurité devraient mieux comprendre les préoccupations en termes de santé mentale. Pour les conflits ethniques, par exemple, les questions relatives à la santé mentale — des répercussions du racisme sur l’identité ethnique au cercle vicieux de la revanche — devraient devenir l’objectif des nouvelles politiques, comme l’enseignement à l’école. Les initiatives transnationales en vue de traiter les traumatismes peuvent aider modestement mais efficacement et répondre rapidement aux victimes de violence collective et les aider rapidement. Les programmes d’intervention de traitement et de triage, qui ont démontré leurs effets positifs, doivent être appuyés sur le plan international ainsi que sur le plan local du fait des coûts et des services limités dans la plupart des régions du monde. Les organisations de femmes ont joué un rôle essentiel dans la direction de ces efforts dans le passé et peuvent constituer des modèles également à l’avenir.
La réduction et la prévention de la violence collective et interpersonnelle (souvent générée par la violence et les échecs communautaires) nécessitent l’intégration d’un souci de parité entre les sexes en vue d’élaborer des politiques pour les prestations de santé et dans le système juridique. Bien que les soins médicaux pour les blessures physiques et que les soins en matière de santé mentale pour les blessures psychologiques puissent atténuer la souffrance à long-terme, la dissuasion et finalement la prévention exigent que des lois jugent la violence domestique à l’égard des femmes (et des enfants) comme un crime.
5. Efforts spécifiques directs en vue de la prévention primaire des troubles mentaux et des troubles comportementaux, psychosociaux et neurologiques
Ces efforts permettraient d’examiner la base de connaissances scientifiques, d’examiner la prévention primaire dans le monde, de traiter l’adéquation interculturelle des programmes de prévention et de définir les besoins en termes de formation et activités connexes. Pour la réussite des programmes de prévention, il convient d’avoir une intégration des facteurs biologiques et psychosociaux ainsi que l’encouragement actif de programmes de prévention qui ont déjà fait leurs preuves. Il est nécessaire d’élaborer des modèles qui prennent en considération la co-morbidité de nombreux troubles, les groupes de troubles psychiatriques et de détresse psychosociale, en vue d’encourager les interventions pour aider les individus qui souffrent de maladie mentale. De plus, les programmes de prévention nécessitent une compréhension des facteurs de protection indigènes, tels que les activités des soigneurs des personnes malades ainsi les pratiques locales qui permettent d’améliorer la santé mentale et physique et le bien-être des individus et des communautés. L’écoute des femmes, qu’elles soient professionnelles ou non, devrait permettre l’identification de ces facteurs.
FIN DE L’INTERVENTION