La Côte d'Ivoire a rencontré des difficultés pour organiser des élections inclusives depuis son accession à l'indépendance, en raison d'une longue histoire d'exclusion politique et de manipulation des règles électorales. Sous Félix Houphouët-Boigny, le pays a vécu sous un régime de parti unique jusqu'en 1990, date à laquelle le multipartisme a été introduit sous la pression nationale et internationale. Les présidents successifs, comme Henri Konan Bédié, Robert Guéï, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, ont été critiqués pour leurs pratiques d'exclusion politique, notamment envers des opposants tels qu'Alassane Ouattara. Malgré quelques progrès, la mentalité d'exclusion électorale persiste en Côte d'Ivoire, et le défi actuel consiste non seulement à réformer la Commission Électorale Indépendante, mais aussi à changer la culture politique pour permettre une réelle alternance démocratique.
Depuis l’indépendance, la Côte d’Ivoire peine à construire une tradition d’élections véritablement inclusives, tant les jeux politiques ont toujours été marqués par l’exclusion, la manipulation des règles du jeu et des institutions électorales. Une analyse rétrospective de l’histoire politique nationale, du président Félix Houphouët-Boigny à Alassane Ouattara, montre une constante : l’opposition est rarement allée aux élections dans des conditions équitables.
1. Sous Félix Houphouët-Boigny (1960-1993) : l’ère du parti unique
Dès l’indépendance en 1960, le PDCI-RDA devient parti unique et le président Houphouët-Boigny cumule les fonctions de chef de l’État et de président du parti.
De 1960 à 1990, aucun parti d’opposition n’est légalement autorisé, et toutes les élections sont des plébiscites sans alternative réelle.
Ce n’est que sous la pression nationale (notamment les manifestations étudiantes de 1990) et internationale (FMI, France, institutions onusiennes) que le multipartisme est accepté en mai 1990, mettant fin à 30 ans de monopole politique.
Laurent Gbagbo, chef du FPI, devient alors le premier opposant à défier Houphouët dans les urnes lors de la présidentielle d’octobre 1990. Malgré les limites du processus, ce scrutin marque un tournant dans l’histoire démocratique ivoirienne.
2. Sous Henri Konan Bédié (1993-1999) : l’exclusion par la “nationalité douteuse”
Arrivé au pouvoir en 1993 après le décès de Houphouët, Bédié fait adopter une révision constitutionnelle et électorale qui introduit le concept de “l’ivoirité”, excluant de facto des candidats à la nationalité jugée incertaine.
En 1995, Alassane Ouattara, alors opposant et ex-Premier ministre de Côte d’Ivoire (1990-1993), est exclu de la présidentielle au motif qu’il se serait “prévalu d’une autre nationalité” (burkinabè).
L’opposition (FPI, RDR) boycotte alors le scrutin, et Bédié est réélu dans un climat de défiance et de tension.
3. Sous le général Robert Guéï (1999-2000) : les exclus de la transition
Après le coup d’État militaire du 24 décembre 1999, Robert Guéï prend le pouvoir et organise l’élection présidentielle du 22 octobre 2000.
Il fait invalider toutes les candidatures du PDCI, y compris celle de Aimé Henri Konan Bédié, ainsi que celle de Alassane Ouattara (RDR), pour des motifs similaires à ceux de 1995.
Seuls Laurent Gbagbo (FPI) et Robert Guéï sont autorisés à se présenter. Le peuple vote massivement pour Gbagbo, mais Guéï tente de se proclamer vainqueur. Ce coup de force échoue face à une insurrection populaire.
4. Sous Laurent Gbagbo (2000-2011) : inclusion sous contrainte, exclusion sélective
Président à partir de 2000, Laurent Gbagbo ne facilite pas immédiatement le retour d’Alassane Ouattara dans l’arène politique. Ce dernier est exclu des législatives de décembre 2000, sous les mêmes prétextes de nationalité douteuse.
Lors du Forum de réconciliation nationale en 2001, Gbagbo reconnaît publiquement que la Constitution de 2000 avait été taillée pour exclure Ouattara.
Ce n’est qu’au terme de la crise politico-militaire de 2002 et du processus de paix de Ouagadougou (Accords de 2007), que les conditions sont réunies pour que Ouattara puisse se présenter à la présidentielle de 2010. Il remporte le second tour contre Gbagbo avec 54,1 % des voix.
5. Sous Alassane Ouattara (2011-aujourd’hui) : l’exclusion reconditionnée
Lors de la présidentielle de 2020, Laurent Gbagbo (FPI-GOR) et Guillaume Soro (GPS) sont exclus du processus électoral. Gbagbo, condamné à 20 ans de prison pour l’affaire du casse de la BCEAO (condamnation par défaut). Quant à Soro, il a été condamné à 20 ans également pour recel de détournement de fonds publics.
En 2025, de nouveaux contentieux émergent sur l’inscription sur la liste électorale de certains leaders de l’opposition. Les débats sont vifs et relancent la question de l’inclusivité réelle de la présidentielle à venir.
6. La Commission Électorale Indépendante (CEI) : une querelle récurrente
De 1960 à 2000, le ministère de l’Intérieur organisait et proclamait les résultats électoraux, sans organe indépendant. Le PDCI refusait toute réforme : pas de CEI, pas d’urnes transparentes, ni d’encre indélébile, ni de bulletin unique.
Après l’élection présidentielle de 2000, sous pression internationale et en raison de la rébellion armée, la CEI voit le jour, mais elle est rapidement dominée par l’opposition composée notamment du PDCI et des ex-rebelles (Accords de Marcoussis, Linas-Marcoussis 2003).
Ouattara hérite de cette configuration en 2011, puis fait adopter une réforme partielle en 2019, décriée par l’opposition qui la juge toujours pro-RHDP.
7. Une tradition d’exclusion électorale bien enracinée
De tout ce qui précède, la Côte d’Ivoire n’a pas encore construit un modèle d’élection réellement inclusive. Toutes les grandes familles politiques – PDCI, FPI, RDR/RHDP – ont, à un moment donné, organisé ou cautionné des élections excluant leurs adversaires, soit par des lois sur mesure, soit par le contrôle des institutions électorales ou judiciaires.
8. La CEI : une exigence de principe ou une posture stratégique ?
Aujourd’hui, l’opposition continue de revendiquer une réforme structurelle de la CEI. Mais cette revendication est-elle de principe ou circonstancielle ?
Si ses leaders exclus (comme Laurent Gbagbo, Soro, Blé Goudé et Soro) étaient réinscrits sur la liste électorale, boycotteraient-ils pour autant l’élection en raison de la non-réforme de la CEI ?
Ou alors, cette exigence n’est-elle qu’un levier de négociation politique, dont l’intensité varie selon la configuration électorale ?
Le véritable défi pour la Côte d’Ivoire n’est pas uniquement de réformer la CEI, mais de changer la culture politique de l’exclusion électorale systémique. L’alternance démocratique suppose que les règles du jeu ne soient pas modifiées au gré des rapports de force.
Elle exige une structure électorale crédible, mais surtout une volonté politique partagée d’inclure et de concourir loyalement, sous réserve d’une institution judiciaire crédible et impartiale.
De Houphouët à Ouattara, aucune génération politique n’a été totalement innocente dans l’histoire des élections exclusives. Quand est-ce que ce cycle sera brisé ?