APRNEWS : Côte d’Ivoire – des communautés en lutte contre l’accaparement de leur terre par la multinationale SIAT

APRNEWS : Côte d’Ivoire – des communautés en lutte contre l’accaparement de leur terre par la multinationale SIAT

Aidées par des organisations de défense des droits humains, des communautés ivoiriennes ont mandaté des avocats pour déposer leurs exigences au siège de l’entreprise belge SIAT. Elles demandent à être indemnisées pour les préjudices causés par les activités de la société spécialisée dans la production de caoutchouc et d’huile de palme.

A défaut d’y parvenir chez elles, c’est à Bruxelles que les communautés de la préfecture de Prikro, dans la région de l’Iffou, dans l’est de la Côte d’Ivoire, vont tenter de faire entendre leurs voix. Soutenues par des organisations européennes de défense des droits humains, dont FIAN Belgium et Entraide et fraternité, elles ont mandaté des avocates belges pour défendre leurs droits lundi 9 septembre à Zaventem, au siège de la société belge SIAT, qui produit du caoutchouc et de l’huile de palme en Afrique de l’Ouest.

L’entreprise est accusée « d’accaparement de terres, de déforestation, d’atteinte à leur sécurité alimentaire, et d’autres violations de droits humains », selon un communiqué publié le même jour par ces organisations, qui demandent que les communautés soient indemnisées à hauteur de 1,6 million d’euros en réparation des préjudices causés par SIAT dans ses plantations de palmiers à huile et d’hévéa.

L’affaire remonte à 2011, à la sortie de la crise post-électorale ivoirienne. SIAT négocie alors un accord-cadre sur ces terres avec l’Etat, qui immatricule une superficie de 11 000 hectares à son nom et cède 5 000 hectares au groupe belge en bail emphytéotique. « La volonté de SIAT de s’emparer de ces terres coûte que coûte a engendré une crise sociale, juge Nahounou Daleba, chargé de la justice sociale au sein de l’association Jeunes volontaires pour l’environnement, qui a accompagné le plaidoyer des communautés ivoiriennes impactées par SIAT.

D’abord entre les communautés favorables à l’installation de SIAT, qui espéraient un développement économique de la région, et celles qui y étaient opposées car elles ne voulaient pas perdre leurs terres. Puis entre SIAT et les communautés opposées, qui ont manifesté à plusieurs reprises entre 2013 et 2015. Les forces de l’ordre sont intervenues, avec le renfort des vigiles de SIAT. » Le communiqué juge l’entreprise « complice d’une répression qui a causé l’arrestation et la détention arbitraire de plus de 70 personnes, mené à la mort de deux personnes et laissé des dizaines de blessés ».

L’opposition réduite au silence, SIAT rase les terres pour y planter ses propres cultures, détruisant du même coup les champs d’anacarde et de produits vivriers cultivés par les villageois, ainsi que la forêt sacrée où ils ramassaient des escargots. Tous ont été remplacés par une monoculture d’hévéa.

Les promesses de création d’emplois faites par SIAT ne se sont jamais concrétisées, selon les communautés plaignantes, à l’exception de quelques postes alloués au nettoyage des terres et à la pépinière de jeunes hévéas. La majorité des villageois de Prikro se sont donc retrouvés sans travail et sans terre. « Il y a eu un appauvrissement généralisé de nos communautés, regrette Sinan Ouattara, porte-parole d’Akou Moro II, le roi des Andohs qui habitent Prikro. La population tente d’exploiter les terres qu’il lui reste, mais c’est insuffisant. »

« SIAT a fermé les yeux »

L’accord-cadre passé avec l’Etat stipulait que 2 000 hectares devaient être consacrés à des cultures d’hévéa par et pour les villageois, et que la même superficie devait être réservée à des cultures vivrières. Une condition qui n’a jamais été remplie, selon Florence Kroff, chargée de recherche et plaidoyer à FIAN Belgium : « SIAT a fait fi de toutes les tentatives de discussion et de toutes les alertes adressées à ce moment-là. Il y a eu des courriers, des manifestations… Mais SIAT a fermé les yeux. » Selon les organisations de défense des droits humains signataires du communiqué, le groupe belge n’a pas non plus effectué d’étude d’impact environnemental et social avant le début de ses activités, une omission illégale en droit européen comme ivoirien.

Ironie de l’histoire, SIAT, en difficulté financière, s’est vu contraint d’arrêter l’exploitation avant que ses hévéas n’aient eu le temps d’arriver à maturité. En mars 2024, la famille belge Vandebeeck, qui avait créé SIAT en 1980 et en était l’actionnaire majoritaire via sa holding Fimave, a vendu ses parts au conglomérat nigérian Saroafrica, qui détient désormais 86 % du groupe belge. Endetté par ailleurs auprès de la banque NSIA, SIAT a décidé en 2022 de fermer sa filiale ivoirienne à Prikro et proposé à son créancier de rembourser sa dette en nature en lui cédant son bail emphytéotique sur les 5 000 hectares.

La banque a accepté et les plantations sont désormais gardées par les vigiles de NSIA, qui n’exploite pas les terres mais cherche activement un repreneur.

Les villageois n’ont à aucun moment été inclus dans ces transactions s’indigne Florence Kroff : « Aujourd’hui, on se retrouve dans une situation absurde où c’est une banque qui a le droit d’exploiter ces terres, auxquelles les communautés n’ont pas accès et que personne n’utilise. » Une rencontre a été organisée entre les communautés plaignantes et les représentants de NSIA à Abidjan en décembre 2023, mais les échanges ont tourné court. Contactés par Le Monde, ni le groupe SIAT, ni la banque NSIA n’ont donné suite à nos demandes d’interview.

Lundi 9 septembre, les communautés impactées ont choisi de s’adresser en premier lieu à l’entreprise avant d’envisager de porter l’affaire devant la justice de Bruxelles, qui a compétence d’extraterritorialité en ce qui concerne les entreprises belges.

Le recours annoncé par le communiqué est donc d’abord « une action en responsabilité sur base de la faute commise par SIAT », selon Florence Kroff, sur laquelle se fonde la demande d’indemnisation. « Les communautés de Prikro espèrent obtenir réparation sans avoir à en passer par les tribunaux, souligne-t-elle. Les communautés ont besoin de savoir que justice a été rendue. » Sur le plan financier, mais également sur le plan moral, insiste Nahounou Daleba.

Aprnews avec Le Monde

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