
APRNEWS: Comment un État peut-il manipuler ses chiffres ? Le cas du Sénégal avec le FMI
Le scandale de la dette cachée du Sénégal et la suspension des discussions avec le FMI soulèvent des questions sur la transparence financière des États. Les méthodes de dissimulation incluent la comptabilité créative, les retards de reporting et la manipulation des définitions de la dette. Les responsabilités sont partagées entre le gouvernement sénégalais, accusé de manquer de transparence, et le FMI, critiqué pour sa surveillance défaillante. Les conséquences de la suspension des discussions sont graves pour le Sénégal et remettent en question le rôle du FMI. Les leçons à tirer soulignent la nécessité de renforcer les institutions de contrôle et d'imposer une transparence totale des contrats de dette.
L’affaire de la dette cachée du Sénégal (7 milliards de dollars) et la suspension des discussions avec le FMI soulèvent des questions cruciales sur la transparence financière des États et le rôle des institutions internationales. Voici une analyse approfondie des responsabilités et mécanismes en jeu :
Comment un État peut-il manipuler ses chiffres ?
Méthodes courantes de dissimulation
Comptabilité créative – Exclusion de certaines dettes des comptes publics (ex : prêts garantis par l’État non enregistrés).
Utilisation d’entreprises publiques ou de partenariats public-privé (PPP) pour « sortir » les dettes du bilan de l’État.
Exemple sénégalais : Les dettes liées aux projets d’infrastructure (autoroutes, pétrole/gaz) n’auraient pas été correctement déclarées.
Retards de reporting – Publication tardive des données ou recours à des exercices fiscaux opaques pour brouiller les pistes.
Manipulation des définitions – Requalification de dettes publiques en « dettes privées » ou « engconditionnels » pour les exclure des calculs du FMI.
Outils utilisés par le Sénégal
Contrats opaques avec des créanciers étrangers (ex : Chine, fonds souverains).
Garanties étatiques non comptabilisées sur des emprunts d’entreprises publiques (ex : SENELEC, PETROSEN).
Responsabilités partagées ?
Du côté du gouvernement sénégalais
Manquement à la transparence – Le ministère des Finances a l’obligation légale de déclarer intégralement la dette publique selon les normes internationales (définies par le FMI et la Banque mondiale).
Faute grave – Cacher 7 milliards de dollars (soit ~20% du PIB sénégalais) sape la confiance et viole les accords avec le FMI.
Motifs possibles – Éviter des mesures d’austérité imposées par le FMI en cas de dette trop élevée.
Masquer des détournements ou des surfacturations (liens présumés avec des contrats attribués à des proches du pouvoir sous Macky Sall).
Du côté du FMI
Défaillance de surveillance
Le FMI dispose de moyens limités pour vérifier indépendamment les données fournies par les États. Il se repose souvent sur les déclarations officielles.
Critique – L’institution a tardé à détecter l’écart, malgré des outils comme le Cadre de viabilité de la dette (DSF).
Politique de complaisance ?
Certains experts accusent le FMI de fermer les yeux sur les irrégularités des États « stratégiques » (le Sénégal était un « bon élève » économique avant ce scandale).
Conséquences de la suspension des discussions
Pour le Sénégal – Gel des décaissements du FMI (risque de crise de liquidités).
Dégradation de la notation souveraine (coût de la dette accru).
Perte de crédibilité auprès des investisseurs.
Pour le FMI – Remise en question de son rôle de « gendarme financier ».
Pression pour réformer ses méthodes de contrôle (audits indépendants ?).
Comparaison avec d’autres cas
Le Ghana a falsifié ses comptes en 2022 pour masquer une dette de 32 milliards de dollars.
Mozambique – Scandale des « dettes cachées » (2 milliards) en 2016 avec complicité de banques internationales.
Grèce – Maquillage de sa dette avant la crise de 2008 avec l’aide de Goldman Sachs.
Qui est le plus fautif ?
La responsabilité première revient au gouvernement sénégalais
C’est à l’État de fournir des données exactes. La dissimulation volontaire relève d’une faute politique et morale.
Le FMI a toutefois une part de responsabilité :
Son manque de rigueur dans la vérification des données et sa tendance à faire confiance aux « élites locales » ont facilité la fraude.
Leçons à tirer
Pour les États
Renforcer les institutions de contrôle (Cours des comptes, parlements).
Imposer la transparence totale des contrats de dette (comme la loi GIFT au Sénégal, trop peu appliquée).
Pour le FMI
Mener des audits surprises avec des experts indépendants.
Sanctionner systématiquement les États fraudeurs (gel des prêts, publication des noms des responsables).
Pour les citoyens
Exiger l’accès aux données financières (via des ONG comme Publish What You Pay).
Soutenir les médias d’investigation (ex : Seneweb a révélé des irrégularités au Sénégal).
Le cas du Sénégal montre que la falsification des chiffres est un sport mondial, mais que ses conséquences sont dramatiques pour les populations. Si le FMI doit améliorer sa vigilance, la corruption des élites locales reste le cœur du problème.
Une solution durable passe par plus de transparence, une justice financière indépendante, une pression citoyenne constante. L’Afrique mérite mieux que des comptes de fées.
(Sources : FMI, Banque mondiale, rapports du Sénégal, investigations de BBC Afrique et Jeune Afrique).