APRNEWS: Secteur aérien en Afrique de l’Ouest – À quand le décollage ?
Le transport aérien reste le parent pauvre en Afrique de l’Ouest : entre billets d’avion onéreux, infrastructures aéroportuaires vétustes et intégration régionale imparfaite, la tâche est immense. Pourtant, de nombreux acteurs politiques et économiques locaux, conscients qu’un secteur aérien dynamique est l’une des conditions du développement économique, prennent le problème à bras-le-corps.
Si la connectivité aérienne intra-africaine a retrouvé ses niveaux d’avant la Covid-19 depuis décembre 2022, les flux de passagers restaient pour leur part en deçà. Mais depuis cette année, les conséquences de la crise semblent s’estomper définitivement, et les compagnies aériennes africaines devraient transporter 98 millions de passagers en 2024, dépassant ainsi les volumes enregistrés avant la pandémie.
La modernisation du secteur aérien ouest-africain : un chantier en cours
Le secteur aérien ouest-africain reprend des couleurs, mais les défis qui se posent à lui demeurent : amélioration de la durabilité, renforcement de la sécurité, gains de compétitivité et consolidation de la connectivité intra-africaine.
Pour les usagers ouest-africains, un point condense l’essentiel des critiques : il est souvent bien plus cher de prendre une ligne intra-africaine que d’emprunter un vol de l’Afrique vers l’Europe. Un exemple parmi tant d’autres : un vol Abidjan-Douala peut être parfois plus cher qu’un vol Abidjan-Paris. Et surtout, le développement des vols continentaux est encore une lacune dans la région : sur les 176 millions de passagers africains attendus en 2024 d’après l’Association des compagnies aériennes africaines (AFRAA), seuls 8 % des voyageurs, soit environ 14 millions de personnes, prendront des vols intra-africains, selon Jomas Appavou, directeur Afrique de l’Association du transport aérien international (IATA).
Dès lors, le transport aérien reste inaccessible à une très large partie de la population, et réservé aux classes aisées et à la diaspora, alors que ce moyen de transport s’est démocratisé dans d’autres régions du monde.
Une anomalie, car le transport aérien est un élément essentiel pour le développement des régions qu’il dessert. Selon une étude réalisée par InterVISTAS pour le Conseil International des Aéroports (ACI) Europe, chaque million de passagers supplémentaires entraîne la création de 950 emplois directs et une augmentation de 10 % de la connectivité aérienne conduit à une augmentation du PIB par habitant de 0,5 %. C’est à ce titre que la baisse du coût du transport aérien fait partie des objectifs du Marché unique du transport aérien africain (MUTAA) et de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf).
Aéroport International Blaise Diagne
Conscients de ce rôle de catalyseur du développement économique que joue le transport aérien, de nombreux responsables institutionnels s’emparent de la question et œuvrent à la modernisation du secteur. Dernier exemple en date : la réunion des ministres des Transports de l’espace Cedeao en novembre dernier. Bien décidés à faire baisser le prix des billets d’avion, ils se sont accordés sur la suppression des taxes non conformes aux recommandations de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et sur la réduction de 25 % des redevances liées aux passagers et à la sécurité. Le manque de raffineries constitue un autre obstacle à un prix du billet abordable : alors que dans le reste du monde le kérosène représente 25 % du montant d’un billet, c’est 40 % en Afrique. Sur le continent, le coût du kérosène est le plus élevé du monde pour les compagnies aériennes, étant 21 % plus cher que dans le reste du monde.
Nigéria, Abidjan, Dakar, Lomé : course pour le statut de hub ouest-africain
Si les pays du Maghreb, l’Egypte et l’Afrique du Sud continuent d’occuper une place prépondérante dans le secteur aérien du continent, d’autres pays se frayent un chemin pour devenir des acteurs de premier plan.
Le Nigeria, puissance démographique du continent, ambitionne de devenir un hub régional dans les années à venir. Comme le rappelle le ministre nigérian de l’Aviation civile, Festus Keyamo : « Géographiquement, le Nigeria est le mieux placé pour être le véritable hub d’Afrique. Si vous regardez une carte, le pays est à égale distance de l’Amérique du Sud, de l’Europe et de l’Asie. »
Pour ce faire, la Banque centrale du Nigeria (CBN) a réglé l’essentiel des arriérés de change qu’elle devait auprès des banques commerciales, permettant aux compagnies aériennes étrangères de retrouver les devises qui leur étaient dues. Une décision saluée par l’Association des compagnies aériennes et des représentants étrangers au Nigeria (AFARN), qui a reconnu les efforts de la CBN pour résorber une dette qui avait atteint plus de 800 millions de dollars. En juin 2024, l’Association internationale du transport aérien (IATA) a confirmé que 98 % des arriérés avaient été réglés.
Par ailleurs, le gouvernement s’est engagé à respecter la Convention du Cap – qui vise à résoudre le problème de l’obtention de droits certains et opposables portant sur des biens aéronautiques de grande valeur (cellules d’aéronefs, moteurs d’avion, hélicoptères…) rassurant ainsi les sociétés de leasing internationales, qui vont voir leurs coûts d’assurance diminuer sensiblement.
Depuis cette initiative, Royal Air Maroc et Qatar Airways ont lancé des liaisons avec le Nigeria, tandis qu’Emirates a repris du service en octobre 2024, après une suspension de près de deux ans.
L’ambition de devenir une plaque tournante du trafic aérien dans la sous-région n’est pas que nigériane. À Lomé, Asky Airlines rêve d’un hub régional connecté à l’Afrique et au-delà. À Abidjan, les travaux de modernisation pour transformer l’aéroport Félix Houphouët-Boigny en un point de passage incontournable ne sont pas encore achevés et Air Côte d’Ivoire continue de renforcer sa flotte ainsi que ses dessertes. À Dakar, l’Aéroport international Blaise Diagne (AIBD) veut s’imposer comme « le cœur d’un dispositif qui entend rivaliser avec les grands du continent ». La bataille pour les cieux ouest-africains semble lancée. Selon les moyens de bord.
Mais derrière les grands projets et les discours ambitieux, une question reste centrale : comment construire une souveraineté aérienne dans un continent où le kérosène, importé à prix d’or, pèse 40 % du prix des billets, contre 25 % ailleurs dans le monde ? Doudou Ka, ancien patron de l’AIBD entre 2020 et 2022, a son idée : « Développer des champions nationaux et poser les bases d’un développement endogène du secteur aérien ». Une vision qui va au-delà des infrastructures : il s’agit aussi de maîtriser la chaîne de valeur, du carburant aux centres de maintenance, en passant par la formation des pilotes. « Une meilleure intégration des infrastructures locales et une production régionale de carburant pourraient aider à réduire ces coûts et à rendre le transport aérien plus abordable », indique aussi M. Ka qui a été notamment ministre des Transports aériens du développement des infrastructures aéroportuaires au Sénégal. « La sous-capitalisation des compagnies est aussi un des principaux problèmes surtout dans un secteur du transport aérien très capitalistique. »
Pour le pays de la Teranga qui compte également sur ses aérogares locales, l’AIBD est engagé dans la reconstruction des aéroports régionaux. Ces travaux vont notamment permettre de relier le sud du Sénégal, en particulier la Casamance, directement à l’Europe via le renforcement des capacités de l’aéroport de Cap Skirring. Cette région, reconnue pour son potentiel touristique, espère ainsi attirer de nouveau les visiteurs internationaux après plusieurs années de faible fréquentation.
Autre avancée, le 28 octobre dernier, l’Académie internationale des métiers de l’aviation civile (AIMAC), filiale de l’AIBD, a inauguré son campus de Dakar. Ce campus est le deuxième site de formation ouvert par l’AIMAC, après celui de la base aérienne de Thiès en collaboration avec l’Armée de l’air, où la première promotion de pilotes et de techniciens en maintenance est déjà en formation. Une infrastructure qui permettra aux futurs pilotes et techniciens de se former sur place, sans aller forcément vers des écoles étrangères. Un modèle éthiopien qui a fait ses preuves et que le Sénégal tente de répliquer, surtout avec les ambitions que porte sa compagnie nationale Air Sénégal.
« L’Académie vient renforcer l’autonomie et l’excellence du Sénégal dans le secteur aéronautique, avec des programmes tels que la formation de pilotes et la gestion aéroportuaire. Cela s’inscrit dans le dispositif nécessaire au développement d’Air Sénégal », convient Doudou Ka.
Des enjeux communs à l’ensemble de la région, dont les observateurs se réjouissent qu’ils soient inscrits à l’agenda politique.
Fiacre E. Kakpo