APRNEWS : L’ivoirienne Mawa McQueen, reine de la crêpe au caviar

APRNEWS : L’ivoirienne Mawa McQueen, reine de la crêpe au caviar

Propriétaire de quatre restaurants aux États-Unis, dans la très huppée station de ski d’Aspen, l’Ivoirienne Mawa McQueen a fait fortune grâce à ses crêpes de luxe. Dans un ouvrage à mi-chemin entre autobiographie et manuel de développement personnel, elle livre les secrets de son ascension. 

Elle fait irruption comme une tornade. L’œil vif, le pas assuré, l’air contrit d’être arrivée en retard mais s’enquérant déjà du rendez-vous suivant auprès de son attaché de presse, la cheffe Mawa McQueen vit à mille à l’heure.

Rendue célèbre par ses crêpes fourrées au caviar (148 dollars l’unité) à Aspen, dans les Rocheuses du Colorado, cette Franco-Américaine originaire de Côte d’Ivoire est à Paris pour la présentation de son second livre, Une ambition sans limite – Cultiver un état d’esprit propice au succès, publié par sa propre maison d’édition, Édition MCQ*.

À la tête de quatre restaurants (Mawa’s Kitchen, Mawita et The Crepe Shack, à Snowmass et à Aspen) qui emploient quelque 120 salariés, l’ex-môme de Trappes (banlieue parisienne), dont la fortune est estimée entre 11 et 18 millions d’euros, ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Elle s’apprête à ouvrir trois autres établissements à Denver et à Boulder (Colorado) et à inaugurer un hôtel à une heure de route d’Aspen. Tout cela après un parcours semé d’embûches, construit sans héritage et sans l’aide des banques.

Enfance chaotique à Abidjan et Trappes

« Il n’y a pas de ligne rouge chez moi, lance-t-elle. Mais rassurez-vous, je ne vais tuer personne. J’aimerais que mon message trouve un écho chez les jeunes Africains issus de l’immigration, qui s’estiment indignes d’obtenir le meilleur et se contentent des miettes. »

Mantras et préceptes peuplent son ouvrage : « Croire en soi » ; « N’attendez pas qu’on vienne vous sauver » ; « Rêvez grand ! »…

McQueen met aussi l’accent sur son enfance, chaotique, davantage pour mesurer le chemin parcouru que pour susciter la compassion. Sa naissance, fruit d’une liaison éphémère entre une chrétienne à peine sortie de l’adolescence et un musulman dioula polygame.

La séparation précoce d’avec cette mère partie chercher une vie meilleure en France. Son errance à Abidjan, de famille en famille, chez de lointains parents, dans des conditions difficiles.

Elle se souvient des nuits passées sous la table, avec pour seule couverture un pagne, de la frugalité de l’unique repas de la journée, et, surtout, du sentiment de n’être jamais à sa place : «  Je ne me suis pas sentie aimée, j’ai toujours eu l’impression de déranger ».

La crainte, aussi, de voir son géniteur l’enlever. « Certains s’amusaient à m’effrayer. Ils me répétaient que mon musulman de père, qui, forcément, maltraitait les femmes, viendrait me chercher pour me faire exciser, me marier, m’imposer le port du voile. »

La rencontre avec ce dernier dément ces prédictions alarmantes. Une parenthèse heureuse de trois années en compagnie d’un père aimant et d’une belle-mère qui la traite comme sa propre fille. « J’avais grandi comme une herbe sauvage, leur amour me permettait de savoir, enfin, qui j’étais. » Sa mère revient alors qu’elle a 12 ans, et l’emmène en France.

L’atterrissage à Trappes est rude : un trois-pièces dans une HLM pour une famille de douze –neuf frères et sœurs, un beau-père (« aussi adorable que [ma] belle-mère en Côte d’Ivoire ») et une mère, parfaite étrangère, qu’elle doit apprendre à connaître.

L’école est un calvaire : « Mon français était approximatif, mes notes, catastrophiques : j’étais nulle. » Un jour, l’un de ses professeurs, intrigué de la voir toujours quitter l’établissement au pas de charge, l’interpelle et s’enquiert de ses centres d’intérêt. Elle aime cuisiner.

L’enseignant entreprend de la faire admettre au lycée hôtelier, sourd à ses objections. « J’ai été inscrite sur une liste d’attente avant d’être admise. Ma première grande victoire. C’était incroyable, ma famille était abasourdie : à ses yeux, j’étais une grande gueule sans talent particulier, tout juste capable se trouver un petit époux blanc. »

Biberonnée au Cosby Show

Après le lycée hôtelier, Mawa ne trouve pas de travail dans la restauration et se résout à devenir employée de maison – « en attendant d’être naturalisée française pour pouvoir partir en Angleterre » –, mais uniquement dans les beaux quartiers : « Je déployais ma stratégie.  J’avais développé une véritable aversion pour la pauvreté.

Voir les femmes de ma communauté résignées à vivre cette vie insipide d’immigrées pauvres, sans perspectives, me donnait des envies de suicide. »

Déjà, bien avant son arrivée en France, elle nourrissait un rêve. Biberonnée aux séries américaines qui mettent en scène des Noirs riches et prospères, elle adhérait à l’american dream que lui vendait le Cosby Show. Avec une obsession : partir pour les États-Unis.

Mawa Sidibé McQueen racontait alors à qui voulait l’entendre qu’elle était la fille de Clair Huxtable, la mère de famille qu’interprète Phylicia Rashad dans le célèbre sitcom.

Pour vivre aux États-Unis, il faut parler l’anglais. Pragmatique, Mawa débarque à Londres comme fille au pair, dans une famille aisée. Son petit ami de l’époque l’inscrit d’autorité à la loterie de la Green Card américaine. Elle n’y accorde guère d’importance : « Trop beau pour être vrai. » Pourtant, elle l’obtient. Le petit ami, lui, la quitte.

À son arrivée aux États-Unis, en 2002, Mawa McQueen répond surtout à des offres d’emploi de  femme de ménage. « Persuadés d’être assignés à des tâches et fonctions spécifiques, certains Noirs se satisfont du minimum, hésitant à réclamer ce à quoi ils pourraient légitimement prétendre. »

Un ange veille : au vu de son CV, le directeur du White Barn Inn Restaurant la recrute comme serveuse.

Six mois plus tard, elle devient manager et plonge dans l’univers de la restauration cinq étoiles, passant ses étés à Kennebunkport (Maine) et ses hivers à Aspen, « le lieu des escapades romantiques de Victor Newman, personnage emblématique des Feux de l’amour ».

Quand ils séjournent dans leur résidence d’été, à Kennebunkport, les anciens présidents Bush – père et fils – veulent déjeuner dans le restaurant du relais-château où elle travaille.

D’abord une voix, au bout du fil : « Mr. President is going to be here. » Elle raccroche sèchement, s’imaginant qu’il s’agit d’un mauvaise plaisanterie.

Devant l’insistance de son interlocuteur, elle répond, excédée : «  Yes, yes, bring him !  » Quinze minutes plus tard, sept véhicules blindés escortent les membres de la famille Bush. «  Je suis allée me cacher dans le local à poubelles », confie-t-elle. Invitée à servir à table, tétanisée, elle bredouille : « Je ne peux pas, je suis Noire. » Bush père la rassure : « You’re gonna be okay, Mawa. »

Mory Sako et Georgiana Viou

Seule Africaine-Européenne à Aspen, McQueen – « un nom qui en jette et qui marque la naissance d’une dynastie », qu’elle s’est attribué après sa naturalisation américaine – avait d’abord jugé utile d’occulter ses origines africaines. Le continent renvoyait en effet à une image misérabiliste.

« Les Africains-Américains étaient fascinés par mon apparente assurance : je commandais du regard, disais aux uns et aux autres ce que j’attendais d’eux… Certains me prenaient pour la fille unique pourrie-gâtée d’un milliardaire. » En sa qualité de Française, Mawa McQueen acquiert de la notoriété et s’autorise une certaine connivence avec la clientèle de milliardaires. « J’avais de la personnalité, je croyais en moi, ils adoraient ça. »

Son aventure de cheffe commence lorsqu’une cliente de The Little Nell lui demande de l’aider à préparer son repas de Noël. « À la fin du service, celle-ci décrète : “You know, you deserve better.”  » [« Tu mérites mieux que ça »]. McQueen suit son conseil, s’engouffre dans le créneau, encore vierge, de la cuisine diététique, tout en conservant son emploi.

Elle crée sa première entreprise en 2006, M&M Home Dining Services, un service de chef privé qui deviendra Mawa’s Kitchen. « J’ai construit mon business petit à petit, vivant très chichement, investissant chaque centime économisé depuis mes 16 ans, multipliant parallèlement les petits boulots : femme de ménage, baby-sitter, etc. », dit-elle.

Son engagement en faveur d’une cuisine diététique lui permet de s’installer sur le marché de la restauration au service de compagnies de jets privés.

En tant que cheffe, elle s’inspire de la cuisine du continent, qu’elle décrit comme africaine-méditerranéenne. L’affaire George Floyd accentue cette quête des origines.

Elle a ainsi retiré de sa carte le quinoa, l’a remplacé par le fonio, et y a ajouté le gombo frit, consommé en apéritif, comme on le fait en Louisiane.

« J’accommode des produits connus de la clientèle avec des ingrédients inattendus. Le fonio a été boudé toute une saison. Alors j’ai eu l’idée d’en changer le nom. Devenu l’African Quinoa, il a été largement plébiscité, non seulement pour ses qualités nutritives, mais aussi parce que le consommer est un geste de protection de l’environnement.

Sa culture nécessite peu d’eau et elle permet de soutenir les femmes réunies en coopératives, au Sénégal et en Côte d’Ivoire. »

Mawa McQueen milite pour une cuisine qui mêle les genres et fédère. « J’essaie de ramener à Aspen des chefs du monde entier. Je viens de proposer à Mory Sacko et à Georgiana Viou de me rejoindre ! »

Quant à sa « mère » du Cosby Show, elle a un jour déjeuné dans son restaurant, alors qu’elle tournait un film. « Un rêve ! J’ai pleuré, elle a rigolé et s’y est mise aussi. C’était fantastique », dit-elle en faisant défiler les photos sur son téléphone portable.

Aprnews avec Jeune Afrique

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