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Syrie: Comment Bachar al-Assad a gagné la guerre

© Sercom APRnews Photo / Syrie: Comment Bachar al-Assad a gagné la guerre
Vendredi, 22 décembre 2017

Syrie: Comment Bachar al-Assad a gagné la guerre

LEFIGARO - Il y a un an, le régime de Damas reprenait le contrôle de l'intégralité d'Alep. Un tournant dans cette guerre de contre-insurrection que mène Bachar al-Assad contre les rebelles et l'État islamique. Cartes à l'appui, Le Figaro retrace les étapes d'une année de reconquête territoriale.

Il y a un an dans le nord du pays, le régime syrien de Bachar al-Assad remportait une victoire décisive à Alep face aux rebelles. La reprise de l'ancienne capitale économique de Syrie par Damas a été un tournant dans la guerre civile qui a fait plus de 340.000 morts depuis 2011. Retranché au départ dans l'ouest du pays, le régime a depuis Alep largement accru sa reconquête du territoire syrien.

Un retournement de situation rendu possible grâce à l'intervention russe de septembre 2015, mais aussi grâce à la participation croissante de milices chiites parrainées par l'Iran, très présent dans ce pays situé au cœur de sa stratégie d'influence. Cartes à l'appui, Le Figaro retrace les étapes de cette reconquête territoriale du régime de Damas, qui permet à Bachar al-Assad, accusé de crimes de guerre, de se maintenir au pouvoir.

● Cinq années de contre-insurrection

Dès 2012, le régime a commencé à reculer à Alep face aux rebelles, finissant par ne plus détenir que la partie ouest de la ville, mais a réussi à maintenir un accès routier depuis le sud, pour ne pas être encerclé. Selon Fabrice Balanche, géographe et chercheur à la Hoover Institution de l'Université Stanford aux États-Unis, Damas a élaboré dès le début du conflit une stratégie de contre-insurrection qui consiste d'abord à se replier sur les villes les plus sûres, à protéger les axes de communication et à abandonner les territoires acquis aux rebelles. Expurgée de ses éléments les moins fiables, l'armée peut ensuite lancer l'offensive en espérant que les populations locales se seraient entre-temps lassé des rebelles. «Une guerre contre-insurrectionnelle peut prendre des années», précise l'universitaire. Une stratégie risquée. Avant l'intervention des Russes en septembre 2015, le territoire contrôlé par le régime de Damas s'était réduit à peau de chagrin et l'Armée syrienne avait vu fondre ses effectifs.

22 décembre 2016: la reprise d'Alep, tournant de la guerre

Cette stratégie a fini par porter ses fruits lors de la bataille d'Alep, facilitée par le rapprochement entre la Russie et la Turquie, qui a accepté de réduire son aide aux rebelles. L'armée russe apporte quant à elle un soutien aérien et logistique, ainsi que de nouveaux armements. Au sol, l'Iran encadre et finance des milices chiites, à commencer par le Hezbollah libanais, mais aussi des Irakiens et des Afghans. À l'été 2016, l'Armée syrienne lance l'offensive contre l'est de la ville, qu'elle parvient à encercler. Le 22 décembre, le régime reprend l'intégralité d'Alep, après des bombardements meurtriers. «C'est à Alep que les rebelles ont perdu la guerre», estime Fabrice Balanche.

Début 2017, le régime contrôle presque tout l'Ouest syrien, comprenant la majorité de la population et des forces économiques du pays. Cette Syrie souvent qualifiée d'«utile» forme un axe du Sud (Damas) au Nord (Alep) en passant par les villes centrales d'Homs et Hama. La région côtière de Lattaquié, fief de la famille Assad qui garantit un accès à la Méditerranée, est protégée. Échappe néanmoins au régime le gouvernorat d'Idleb, aux mains des rebelles, en majorité islamistes, mais largement isolés.

2 mars 2017: la reprise de Palmyre, poste avancé vers l'Est

Après la chute d'Alep en décembre 2016, le régime de Damas lance son offensive vers l'est du pays. C'est là que se trouve la majorité des ressources en hydrocarbures. C'est aussi le moyen pour Bachar al-Assad de retrouver l'intégrité territoriale du pays pour en contrôler les frontières. «Pour gagner définitivement une guerre contre-insurrectionnelle, il faut fonctionner en vase clos pour empêcher toute aide étrangère aux rebelles», note Fabrice Balanche.

La première étape consiste à reprendre Palmyre et son site archéologique classé au Patrimoine mondial de l'UNESCO. Au centre de la Syrie, cette oasis dans le désert a été prise par l'État islamique en mai 2015. «En plus des champs gaziers qui l'entourent, c'est un poste avancé, qui permet à la fois de protéger l'ouest et de soutenir les forces armées à l'Est», explique Fabrice Balanche. L'Armée syrienne et des milices chiites ont repris une première fois Palmyre à Daech le 27 mars 2016. Mais alors que le régime focalise toute son attention sur la reprise d'Alep, l'État islamique lance une attaque éclair contre la cité antique, qu'il reprend le 11 décembre 2016.

«Les milices chiites étaient plus nombreuses, mais n'étaient pas coordonnées entre elles», précise l'universitaire. Un défaut qui va pousser l'Iran et la Russie à placer les milices chiites (près de 50.000 hommes au total) et l'armée syrienne dans un commandement plus intégré. Cette réorganisation permet au régime de reprendre définitivement Palmyre le 2 mars 2017.

2 novembre 2017: La reprise de Deir Ezzor et la fin d'un siège de trois ans

Palmyre ouvre la voie vers l'Est syrien, notamment la ville de Deir Ezzor, située de part et d'autre de l'Euphrate, non loin de la frontière irakienne. L'est de la ville était tenu par l'État islamique, qui contrôlait également les campagnes environnantes. Le régime se trouvait ainsi enclavé dans l'ouest de la ville, défendant âprement l'aéroport pour pouvoir s'approvisionner en nourritures et en hommes. «Pendant cinq ans, le régime a maintenu son emprise, faisant tourner tous les trois mois les effectifs de la Garde républicaine», une unité d'élite particulièrement fidèle au clan Assad, explique Fabrice Balanche.

Le 5 septembre, les forces syriennes brisent le blocus imposé par Daech et rejoignent l'ouest de la ville, puis, le 2 novembre, reprennent l'est, après avoir franchi l'Euphrate. Un coup supplémentaire pour l'État islamique, qui a été défait le 20 octobre dans sa capitale syrienne à Raqqa, au Nord de Deir Ezzor, reprise par les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition arabo-kurde, soutenue par les États-Unis.

● Les Kurdes, alliés des États-Unis pour limiter l'avancée du régime syrien

«L'offensive des FDS est la réponse américaine à l'avancée de l'armée syrienne vers l'Est», commente Fabrice Balanche. Forte de 50.000 combattants kurdes et arabes, cette coalition est dominée par les YPG, la branche militaire du parti kurde PYD. Cette milice contrôle une large partie du nord de la Syrie dans les trois cantons kurdes d'Afrin, de Kobané et de Djézhiré, qui forment un Kurdistan syrien qu'ils nomment «Rojava».

Inquiets du rapprochement entre Turcs, Russes, Iraniens et Syriens dans le cadre des pourparlers diplomatiques qui ont lieu depuis janvier 2017 à Astana au Kazakhstan, les Kurdes cherchent la protection des États-Unis, acceptant en échange d'organiser avec les FDS la reprise de la capitale syrienne de l'État islamique. «L'armée syrienne n'a pas essayé de la reprendre en premier, préférant se focaliser sur Deir Ezzor. Comme Raqqa est une ville arabe et non kurde, le régime estime que ces derniers n'y resteront pas», précise Fabrice Balanche. Mais face à l'avancée de l'Armée syrienne vers Deir Ezzor, les FDS, encouragés par Washington, sont allés plus loin au Sud pour reprendre le contrôle de l'intégralité de la Syrie à l'Est de l'Euphrate. «Cette répartition de l'Est syrien a fait l'objet d'un accord entre la Russie et les États-Unis. Le régime de Damas manquait d'hommes pour aller plus loin et espère récupérer cette partie de la Syrie ultérieurement, après des négociations politiques avec les Kurdes», précise Fabrice Balanche.

19 novembre 2017: la reprise d'Abou Kamal et la victoire du «croissant chiite»

L'abandon du régime de Damas de la partie la plus orientale de la Syrie ne l'empêche pas de créer une continuité territoriale avec l'Irak, qui était l'un des objectifs de Bachar al-Assad, mais surtout de son parrain régional, l'Iran. Dans la foulée de Deir Ezzor, l'Armée syrienne a repris progressivement les bourgs se trouvant le long de la rive occidentale de l'Euphrate, notamment la ville d'Abou Kamal, à la frontière irakienne, conquise à la mi-novembre. 

Une jonction avec l'Irak, où l'influence iranienne n'a cessé de grandir depuis l'intervention américaine de 2003, qui permet à Téhéran de constituer un corridor terrestre traversant le Moyen-Orient. Dénoncé dès 2004 par le roi de Jordanie, cet «arc chiite» passant par Téhéran, Bagdad, Damas et Beyrouth permet à l'Iran de faciliter son soutien au Hezbollah libanais tout en espérant gagner un accès à la Méditerranée grâce au port syrien de Tartous, où la Russie possède déjà une base navale.

● Idleb, zone de repli des djihadistes et zone d'influence turque

«Idleb sera la grande bataille de 2018», commente Fabrice Balanche. Cette province montagneuse située entre Lattaquié, le fief de la famille Assad, et Alep, est bordée au Nord par la Turquie. Hormis quelques enclaves à Homs, Damas et dans le Sud syrien, Idleb est la seule région encore tenue par la rébellion, mais dominée par les islamistes, notamment le Front Fatah al-Cham (ex-Al-Nosra), liés à Al-Qaïda. La situation est d'autant plus complexe que l'Armée turque est aussi présente dans la région. Elle cherche à contenir les Kurdes syriens, liés aux Kurdes turcs du PKK. 

Fabrice Balanche s'attend à de complexes négociations entre la Syrie, la Russie et la Turquie pour se partager ce territoire. «Il y a déjà une zone d'influence turque au nord d'Alep, qui s'étend à une partie d'Idleb où se trouvent des populations turkmènes. L'armée turque y est déployée, l'électricité vient déjà de Turquie. Ankara essaie de faire de cette zone un mode de gouvernance antikurde», estime le chercheur. En échange, Bachar al-Assad pourrait obtenir de la Turquie l'arrêt de son soutien aux rebelles islamistes et reprendre le reste d'Idleb, la Russie jouant alors le rôle d'arbitre. Dans ce jeu de billard à trois bandes, les Kurdes risquent de se trouver isolés. «Les Américains ont annoncé qu'ils souhaitaient rester présents dans les zones kurdes jusqu'en 2021 [année des élections présidentielles en Syrie] pour conserver leur influence et empêcher Bachar al-Assad de se représenter, mais ils ne veulent pas non plus se mettre à dos les Turcs en soutenant les Kurdes», commente Fabrice Balanche. Anticipant un retrait américain, les Kurdes pourraient chercher à obtenir le soutien de Damas et Moscou en laissant au régime les territoires à l'Est de l'Euphrate, dont Raqqa.

Depuis sa victoire à Alep il y a un an, le régime de Damas, fort du soutien de ses parrains russe et iranien, a inversé la donne militaire dans le conflit meurtrier qui ensanglante la Syrie depuis 2011. Un retournement de situation qui permet à Bachar al-Assad d'espérer pouvoir désormais renverser la donne politique.